Latent
« Un voyage intérieur » : dans Latent, [...]
En résidence au Théâtre National de Chaillot, Daniel Dobbels convoque le lieu comme une puissance mémorielle, avec neuf interprètes au cœur de l’image, de la voix, et de la musique…
« Les écrans du temps, c’est d’une part la puissance du cinéma, la puissance d’une architecture, la puissance de la musique (puisque l’ensemble de la partition musicale est constitué par des pièces de Ravel), mais en même temps – c’est ce que j’ai découvert lors de ma résidence – la puissance du théâtre, dont Chaillot a hérité. Comment la danse se fait-elle la mémoire d’un héritage qui n’est pas le sien ? Pour moi il y a un risque au sens où toutes ces puissances sont vraiment impressionnantes, intimidantes. Trouver comment la danse peut filtrer son propre parcours, ses propres voix, ses propres frayages entre toutes ces puissances sans être écrasée et sans être forcément dans un rapport de force ou d’opposition avec elles, c’est l’un des enjeux de cette pièce. Il y a dans Chaillot même des lieux aujourd’hui un peu abandonnés ou en tout cas méconnus du public, et lors de ma toute première année de résidence, j’ai pu y poser des actes chorégraphiques. Je suis parti des fonds pour me retrouver aujourd’hui dans la grande salle. Cette pièce est d’une certaine manière traversée par ces avancées dans les soubassements de Chaillot. Il fallait aller trouver cette mémoire, là où elle est tapie, enfouie. Ensuite, Alain Fleischer a filmé des séquences chorégraphiées dans les escaliers de Chaillot, notamment dans un des plus vieux escalators.
De qui et de quoi se sent-on les contemporains ?
Il y a plusieurs enchevêtrements : d’abord le rapport à l’image, sans apparition de danse au moment de la projection des films. A cela s’ajoutent les lumières, et puis tout le jeu des épaisseurs de temps, avec les voix de Jean Vilar et de Maria Casarès. L’archive sonore a été réalisée avec des moyens d’enregistrement techniques très marqués, et je veux qu’on entende ces écarts de temps et de technologies. Cela peut créer des strates de sensations pour le spectateur. Les textes sont choisis dans Macbeth, et Richard II. Le travail consiste à tenter de différencier, de ne pas croire en une forme de théâtre total ou d’expression totale qui fusionnerait le tout. Au contraire il s’agit de maintenir, toutes proportions gardées, la dimension qu’à ouverte Cunningham à sa façon, c’est-à-dire une autonomie radicale de la danse qui lui permette de soutenir un rapport avec la peinture, la musique, mais sans en être dépendante. Ces diverses couches concernent notre propre mémoire. La question, en arrière-fond, pourrait être : de qui et de quoi se sent-on les contemporains ? Comment fait-on pour coexister avec ces forces parfois antagonistes qui nous entourent et nous traversent ? »
Propos recueillis par Nathalie Yokel
Les 6 et 7 mai à 21h. Tel : 0153 65 30 00.