Célébrer l’humanité de la mémoire
Qudus Onikeku poursuit sa quête de mémoire et [...]
Avignon / 2013 - Entretien Angélica Liddell
Le Festival d’Avignon accueille une fois encore l’artiste espagnole Angélica Liddell, directrice de l’Atra Bilis Teatro, avec deux spectacles où elle interroge son amour taraudant pour la Chine et son angoisse de la solitude.
Comment votre nouvelle création, qui évoque le massacre de l’île d’Utoya commis par le Norvégien Anders Breivik, articule-t-elle votre propre cheminement intérieur et l’Histoire ?
Angélica Liddell : Mes œuvres sont celles d’une misanthrope : les œuvres me permettent d’organiser et de comprendre le mépris pour l’humanité, la méfiance pour l’ennui, une série de sentiments insurmontables et inévitables. Ne pas les destiner au théâtre reviendrait à figurer dans quelque liste de dangereux psychopathes. Avec chaque spectacle, je construis mes propres prisons et asiles de fous. Comme toujours, je suis obsédée par l’origine de la tristesse humaine, ce qui établit des connexions avec des cellules, des planètes, un chien abandonné ou la grande Histoire.
Dans quelle mesure ce spectacle est-il, comme vous le dites, le fruit de l’apprentissage de la solitude ?
A. L. : Parce que la solitude, c’est avant tout ne pas être aimé, et que, pour surmonter cette peur, cette douleur, j’utilise l’écriture. Écrire est une manière de pleurer, de compenser la solitude ; la solitude peut être une conquête, mais au fond de tout cela, il y a la nécessité d’être aimé. Moi, je reporte toute cette nécessité sur la création.
Il est aussi question d’amour dans Ping Pang Qiu. Quelle en est votre conception ?
A. L. : Je voulais raconter une histoire d’amour, simple, toute bête ; je me rappelle que j’ai vu de nombreuses fois Days of being wild de Wong Kar-Wai. J’étais tombée amoureuse de Leslie Cheung, le héros. Il incarnait mon amour de la Chine, mais il y eut tout de suite des interférences dans cet amour, les interférences que produisaient un régime totalitaire, policier, l’extermination du monde des expressions et de leurs conséquences, et à ce moment, j’ai compris que l’amour devait être une manière de lutter contre la répression asphyxiante de la Chine actuelle, une répression qui est la conséquence des crimes impunis du communisme totalitaire. Nous essayons de combattre le totalitarisme par l’amour, ou utilisons l’amour comme acte de liberté.
Pourquoi cet amour de la Chine, en vous ?
A. L. : L’amour pour la Chine est quelque chose de difficile à expliquer. La seule chose qui définit une histoire d’amour est le mystère, l’inexplicable. Peut-être que c’est tout ce qui est difficile qui me fascine, tout ce qui me met à l’épreuve, l’excès, l’incompréhensible. Je ne veux pas comprendre la Chine, parce que ce qui m’excite, c’est précisément de n’absolument rien comprendre. Évidemment, c’est un amour triste, parce que quand tu commences à aimer la Chine, tu te rends compte que la culture chinoise n’existe pas, et que les Chinois ne savent pas d’où ils viennent ; c’est exactement comme s’ils étaient nés directement du sperme putréfié de Mao. Le maoïsme a arraché les racines d’une culture de presque dix mille ans. Non seulement on a annihilé toute pensée individuelle, mais même tout objet qui pouvait faire allusion à quelque chose d’ancien, jusqu’aux boîtes en laque. Quand tu vas en Chine, tu as l’impression d’une extermination totale ; c’est comme s’ils avaient arraché l’origine de l’homme et étaient les spectres d’un monde qui voudrait être neuf et juste, au prix de l’ignorance absolue, de la misère morale absolue.
Propos recueillis par Catherine Robert
Qudus Onikeku poursuit sa quête de mémoire et [...]