F(l)ammes
Fruit de deux ans d’ateliers dans différentes [...]
Dans Enfance et adolescence de Jean Santeuil, Agathe Mélinand aborde le roman de jeunesse inachevé de Marcel Proust comme une œuvre aboutie. Et échoue à en traduire la singularité.
« Puis-je appeler ce livre un roman ? C’est moins et peut-être bien plus, l’essence même de ma vie, recueillie sans y rien mêler, dans ces heures de déchirure où elle découle. Ce livre n’a jamais été fait, il a été récolté ». Allongé sur un lit d’enfant en métal, le jeune Quentin Dolmaire, notamment comédien d’Arnaud Desplechin depuis le fameux Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) (1996), promet par ces mots une immersion dans une matière aussi fragmentaire que foisonnante. Soit le texte le plus méconnu et le plus autobiographique de Marcel Proust : Jean Santeuil, roman inachevé et publié seulement en 1952 chez Gallimard, en trois volumes préfacés par André Maurois. Autant que l’histoire d’un jeune garçon dont la sensibilité exacerbée fait étrangement penser à celui de La Recherche – laquelle a donné lieu à de nombreuses tentatives théâtrales, dont une des plus récentes et réussies est celle de Warlikowski avec Les Français (2016) –, on s’attend à voir se matérialiser sur le plateau presque nu de Enfance et adolescence de Jean Santeuil les questionnements du romancier âgé de vingt-quatre ans lorsqu’il commence son œuvre. Ceux d’Agathe Mélinand aussi qui, comme l’ont fait de nombreux artistes et lecteurs, contemporains ou non de Proust, aurait pu chercher dans le livre les traces du futur chef-d’œuvre ou, au contraire, de sujets et de tentatives stylistiques abandonnées plus tard. Il n’en est rien.
Une jeunesse sans reliefs
La metteure en scène et co-directrice du Théâtre National de Toulouse opte pour une adaptation assez linéaire de Jean Santeuil, et pour un espace-temps indéfini. Pour une neutralité qui nous place quelque part entre le Illiers de Proust et la France d’aujourd’hui, mais où se déroule une suite de tableaux chronologiques. Un portrait de Jean Santeuil et du petit cercle social qui l’entoure, de l’enfance délicate du héros à son adolescence rêveuse et absorbée par la littérature. Régulièrement chahuté par des parenthèses lors desquelles les huit comédiens de la distribution adoptent un statut de narrateur, ce réalisme qui aurait pu séduire manque de chair. Entre incarnation et distance imposée par la phrase proustienne – sans doute moins labyrinthique que dans La Recherche, mais déjà bien longue –, les comédiens peinent à trouver leurs repères. Certains se réfugient alors dans la caricature du bourgeois ; d’autres dans un lyrisme apathique qui les place à côté de leurs personnages. Quentin Dolmaire, lui, s’en sort en affichant une perpétuelle moue enfantine, vaguement boudeuse. Si en deux heures à peine, Enfance et adolescence de Jean Santeuil a le mérite de résumer près de mille pages, il le fait donc d’une manière studieuse et sans passion. Peu apte à alimenter des flammes proustiennes ou des curiosités voyageuses.
Anaïs Heluin
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche 3 décembre à 16h. Durée : 2h. Tel : 05 34 45 05 05. www.tnt-cite.com
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