Joël Pommerat présente « Marius » d’après Pagnol, un théâtre intense d’êtres écorchés et de face-à-face existentiels
Prolongement d’un travail initié, en 2017, [...]
La metteure en scène propose une lecture iconoclaste de Duras, tranchante et originale.
Marguerite Duras fait partie des auteurs qui connaît autant d’adulateurs que de contempteurs. Les premiers gardent le temple ; les seconds se plaisent à le souiller. Les premiers savent comment on doit la monter et ne supportent pas le sacrilège d’une lecture qui ne débusque pas le tragique, le sublime et la profondeur derrière l’anodin. Émilie Charriot ne se pose ni en thuriféraire, ni en vandale ironique : elle écoute le texte et met en scène ce qu’il dit. Elle ne s’avance ni en platonicienne traquant l’essence derrière les apparences, ni en exégète inspirée par la grâce réservée aux élus. En cela, elle se lance sur la piste qu’ouvre Marguerite Duras : quand Pierre Lannes lui demande si ce qu’il lui raconte le conduit vers une explication du crime, l’Interrogateur répond : « Vers plusieurs explications, différentes de celles qui m’étaient venues à l’esprit avant de vous entendre. Mais je n’ai pas le droit d’en retenir une seule dans le texte qui est en train de se faire. » Le public, dont L’Interrogateur est ici le coryphée, est amené à adopter la même posture : il y a bien des manières de monter les grands textes et personne n’est propriétaire exclusif du sens. On peut, dès lors, aimer ou ne pas aimer cette version de L’Amante anglaise, selon ce qu’on y découvre ou selon ce qu’on aurait voulu y voir, mais on ne peut prétendre que le travail dramaturgique d’Olivia Barron et la mise en scène d’Émilie Charriot manquent d’intérêt.
Banalité du mal
Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond et Nicolas Bouchaud racontent l’histoire de Claire Lannes, meurtrière de Marie-Thérèse Bousquet, comme une nouvelle version de la banalité du mal. Dominique Reymond n’interprète pas la criminelle comme une Bovary dans l’ennui de son jardin : pourquoi le faudrait-il ? Laurent Poitrenaux n’a pas l’évanescence du témoin faussement naïf : pourquoi le serait-il, puisque Pierre Lannes a entendu Claire venir ? L’Interrogateur n’a ni la violence de l’inquisiteur ni la subtilité retorse du psychiatre connaisseur des arcanes névropathes : comment saurait-il au-delà de la supposition ? Claire Lannes, vingt ans avant Christine V., est « reléguée dans la matérialité de la matière ». La question est à poser à tous ceux qui voudraient donner un sens au meurtre et héroïser les assassins : pourquoi Claire Lannes n’aurait-elle pas les accents populaires que lui offre Dominique Reymond ; pourquoi Pierre Lannes vaudrait-il mieux que le petit homme médiocre qu’il est, pétrifié dans la stupeur et la colère ; pourquoi chercher à expliquer le crime signifierait-il le comprendre ? La version d’Emilie Charriot a l’immense mérite de suggérer que l’ordinaire peut pousser au crime sans faire des assassins des figures aimables. Maurice Blanchot parlait d’un « égoïsme sans égo » à propos de L’Espèce humaine, de Robert Antelme. La Claire Lannes de Dominique Reymond « attachée d’une manière qu’il faut dire abjecte à vivre et à toujours vivre », a quelque chose de cela. Tel est ce qui la fait victime, sans doute plus efficacement que les draperies de la grandiloquence. Le sidérant talent des trois comédiens, dont chaque phalange, chaque cil, chaque geste imperceptible fait théâtre, est incandescent. Trois stradivarius ne font pas de miracles sous l’archet d’un amateur : celle qui les dirige a quelque chose à dire. Face au mal, il faut, comme le dit Claire Lannes, « trouver la bonne question », ou admettre que quelque chose résistera toujours. Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond et Nicolas Bouchaud, qui font brillamment l’épreuve de cette résistance, sont admirables.
Catherine Robert
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h ; relâche le 23 mars. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 1h40.
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