When the mountain changed its clothing par Heiner Goebbels
Heiner Goebbels instille une vive acuité [...]
La comédienne Nadia Fabrizio interprète des chants d’inspiration traditionnelle, en frioulan et en « cjargnel », langue des montagnes, pour dire l’éternelle histoire du déplacement et du déracinement des êtres.
Vous avez la nostalgie d’un pays, le Frioul italien, où vous n’êtes pas née…
Nadia Fabrizio : Fille et petite-fille d’immigrés italiens venus d’une région rurale du Nord de l’Italie perchée dans les montagnes du Frioul, la Carnia, je suis née en Suisse, où j’ai d’ailleurs étudié au Conservatoire de Lausanne, et je vis en France depuis une vingtaine d’années. Comme beaucoup, j’appartiens au cercle de ceux qui sont à la recherche de leurs racines terriennes insaisissables puisqu’on vit toujours dans l’entre-deux, pas ici entièrement dans le présent, et pas là-bas non plus.
Quelle est l’origine de votre spectacle musical Émigrant ?
N. F. : J’ai toujours écouté, depuis toute petite, le frioulan et le « cjargnel », une langue particulière de la région des montagnes, aux résonances dures et rustiques, véhiculée par les chants traditionnels. Adolescente, en vacances chez mes grands-parents, j’écoutais un groupe des années 80, le Polovâr Ensemble, dont le mentor et le chanteur était le poète Giorgio Ferigo. Ces chansons étaient belles et fortes, parlaient de ceux qui étaient restés au pays, rêvaient de ceux qui étaient partis, et parlaient aussi de ceux qui, partis, rêvaient de ceux qui étaient restés. Les textes de Ferigo évoquent en particulier le mal-être, le mal-vivre de ceux qui sont restés dans le pays d’origine.
« Ces voix et cette musique traduisent le sentiment profond de n’être jamais vraiment au bon endroit. »
N. F. : Nous sommes quatre sur le plateau, les musiciens – Philippe Vranckx à la guitare et Christophe Jodet à la contrebasse -, Katia Fabrizio Cuénot pour l’accompagnement de voix et moi-même au chant et au récit. On réinterprète ces chants des années 80 pour les tirer jusqu’à nous, tout en nous inspirant du chant à deux voix a capella et des chants traditionnels de la région montagneuse de la Carnia. Ces voix et cette musique traduisent le sentiment profond de n’être jamais vraiment au bon endroit, d’être ni d’ici ni d’ailleurs, dans la quête du grand amour.
Etes-vous sensible à cette forme de désenchantement ?
N. F. : Je ne peux me défaire de ces liens indissolubles liés à mon parcours personnel. Le spectacle est empreint de douceur et de mélancolie, d’âpreté et de rage. Émigrant fait appel aux chansons et au récit. C’est une chambre intime, le « palazzo mentale » d’une femme qui convoque ses fantômes. Ces figures sont des personnages en crise – ceux qui sont partis et ont souffert de ce départ, et ceux qui sont restés et ont souffert de leur enlisement.
Propos recueillis par véronique Hotte
Heiner Goebbels instille une vive acuité [...]