La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Du malheur d’avoir de l’esprit

Evénement ! La complicité qui unit la MC93 et le théâtre Maly de Lev Dodine se concrétise cette année en un projet de très grande envergure : huit pièces sont à l’affiche, couvrant 25 ans de répertoire. A ne pas manquer !

Publié le 10 avril 2007

La création en France par Jean-Louis Benoit de la pièce emblématique de
Griboïedov, longtemps censurée en Russie et traduite par André Markowicz, mérite
ses applaudissements.

C’est à la fin de 1824 que fut achevée la rédaction de la pièce d’Alexandre
Griboïedov (1790-1829), brillant sujet turbulent de Nicolas Ier, ambassadeur de
Perse assassiné à Téhéran par des chiites fanatiques. Un chef-d’?uvre d’audaces
où les attaques contre l’État, l’armée et les m’urs courtisanes de l’Empire par
le héros Tchatski, taxé « du malheur d’avoir trop d’esprit », sont si
directes que les démarches de l’auteur pour publier sa pièce restent vaines. Le
manuscrit se répand clandestinement sur tout le territoire russe.
L’époque de la rédaction correspond en France au mouvement romantique qu’on ne
peut comparer à la manière russe : Griboïedov a fréquenté les écrivains
« archaïstes », des adversaires déclarés du sentimentalisme. La pièce, vaste
comédie humaine, laisse peu de place à la mélancolie de l’âme qui rêve de
sentiments nobles et verse du côté de la grandeur de caractères sublimes.
Griboïedov donne un coup de pied à cet ensommeillement des consciences à travers
la figure ironique de Tchatski, un rebelle de salons qui impose sa voix nouvelle
dans le chaos médiocre des servitudes courtisanes et politiques. Avec l’ironie
d’une opposition sarcastique pour tout ce qui semble tenu pour acquis, comme en
Russie cette vogue de la France que Tchatski vilipende.

C’est un Bal des Vampires que Jean-Louis Benoit a ordonnancé

Cet homme de parole qui a quitté Moscou pour voyager revient auprès de Sofia
(volontaire Ninon Brétécher), fille de Famoussov, chef de service dans une
administration d’État. À ses côtés, se tient Moltchaline, son secrétaire veule,
prétendant à la fortune qui s’esquisse, et individu sans parole. Tchatski plaide
pour la liberté des hommes qui ne s’empressent plus à jouer les bouffons : « On
vit à la campagne, on lit, on pense, on bouge. On sert la cause et non plus la
personne?
 » Les m’urs de Moscou le révoltent : Tchatski ne plaide pas pour
la recherche convenue des titres et de l’argent, mais pour un esprit enclin à
l’amour des arts, du sublime et du beau. La réalité est bien décevante : sur la
scène de ce petit monde, Famoussov ? sublime voix rocailleuse de Roland Bertin-
court le jupon, celui de la servante Liza, astucieuse et lucide Chloé Réjon. De
son côté, Moltchaline ? Louis-Do de Lencquesaing ? qui aspire à épouser Sofia,
courtise aussi la servante. Tout est mensonge et bassesse. À voir, le bal final
où sont conviés les masques mortifères des mondanités vieillies, un défilé de
dames et demoiselles abêties, de vieillards joueurs. C’est un Bal des Vampires
que Jean-Louis Benoit a ordonnancé en maître de cérémonies averti. Jean-Paul
Farré, un décembriste adepte de l’autocritique, ne déroge pas à ce tableau des
monstruosités. Philippe Torreton est un vrai Tchatski qui interroge sans faillir
la raison.

Véronique Hotte

Du malheur d’avoir de l’esprit

D’Alexandre Griboïedov, traduction André Markowicz, mise en scène de
Jean-Louis Benoit, jusqu’au 7 avril 2007 à 20H, dimanche 15h au Théâtre National
de Chaillot 1 place du Trocadéro 75016 Paris Té : 01 53 65 30 00

Du 12 au 22 avril 2007, au Théâtre des Célestins, 4 rue Charles Dullin 69002
Lyon Tél : 04 72 77 40 40
Du 10 mai au 10 juin 2007, au Théâtre de la Criée, 30 quai de Rive Neuve 13007
Marseille Tél : 04 91 54 70 54. Texte Éditions Babel/Actes Sud.

A propos de l'événement


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