La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Des couteaux dans les poules de David Harrower mes par Gilles Bouillon

Des couteaux dans les poules de David Harrower mes par Gilles Bouillon - Critique sortie Théâtre CHATILLON Théâtre à Châtillon
DES COUTEAUX DANS LES POULES de David Harrower © Pascal Gely

de David Harrower / mes Gilles Bouillon

Publié le 12 janvier 2019 - N° 272

Gilles Bouillon met en scène le drame rural imaginé par David Harrower. Trois jeunes comédiens délicats et précis exaltent le pouvoir des mots, créateurs et transgressifs, maîtres du plaisir et du sens.

Par son titre, sa langue (que Jérôme Hankins traduit de l’anglais en français), le phrasé et le jeu très économe des comédiens, la pièce mise en scène par Gilles Bouillon est d’abord déroutante. Son sens n’apparaît qu’au fur et à mesure de la représentation : en regardant ce qui est montré, on comprend ce qui est dit. L’intrigue est simple. Dans l’austérité d’une campagne reculée, vivent Jeune Femme et Petit-Cheval William, son mari, le laboureur. Gilbert Horn, le meunier, est installé à l’écart du village, détesté de tous et pourtant indispensable pour transformer le froment en farine. Trop occupé à s’occuper de ses chevaux, le mari confie à sa femme le soin d’apporter les sacs de grains à la meule et offre ainsi, sans le vouloir, sa femme au meunier. Le motif est éternel : en allant de la ferme au moulin, situé sur le haut de la colline, la femme se libère de l’enfermement marital. Quand l’esprit vient à la femme et qu’elle n’est plus considérée seulement comme un corps, elle découvre que les mots, si on apprend à les dire, à les lire et à les écrire, permettent de mieux comprendre le monde et de mieux en goûter la beauté.

Profondeur et surface

La scénographie de Nathalie Holt est semblable à la prédelle d’un retable : les différents tableautins de l’histoire sont à vue. A jardin, l’intérieur de la ferme, à cour, la chambre du moulin ; entre les deux, l’espace du mystère de la transsubstantiation où le corps glaiseux de la femme va recevoir le souffle de l’esprit. Les couleurs et la simplicité des costumes, la rusticité des matériaux du décor, la quasi absence de perspective linéaire font ressembler la scène à un tableau de Giotto : la femme découvre le chemin de sa libération comme on invente le point de fuite. En même temps, ce traitement non-réaliste de l’histoire, où la coprésence remplace la succession, permet de mieux saisir la particularité de la langue des personnages, dont sont exclus les pronoms personnels et dont le vocabulaire est volontairement restreint. Là où un traitement réaliste de la pièce aurait fait passer les personnages pour des débiles profonds, pauvres en mots et pauvres en monde, celui que choisit Gilles Bouillon suggère qu’ils sont comme des enfants qui apprendraient progressivement à parler et découvriraient peu à peu ce qu’ils sont et ce dont ils sont capables. A cet égard, l’interprétation de Frankie Wallach, qui campe une jeune femme découvrant peu à peu les ressources érotiques de son corps et dont les mouvements se délient en même temps que la langue, est remarquablement précise. Bastien Bouillon (le meunier) et Antoine Millet (le laboureur) incarnent avec justesse les deux hommes de la fable et les trois comédiens parviennent à donner vie à ces personnages sans les folkloriser ni les caricaturer. L’ensemble compose un spectacle dont la beauté apparaît trait après trait, comme le portrait naît sous le pinceau.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Des couteaux dans les poules de David Harrower mes par Gilles Bouillon
du vendredi 11 janvier 2019 au mardi 15 janvier 2019
Théâtre à Châtillon
3, rue Sadi-Carnot, 92320 Châtillon.

à 20h30. Du lundi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 55 48 06 90. Durée : 1h30.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre