La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

David Ayala

David Ayala - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mars 2009

Guy Debord : la force toujours active d’une parole radicale

Fascinant, énigmatique, stratège de la subversion… Guy Debord sème toujours le trouble. Quinze ans après sa mort d’une balle dans le cœur, en 1994, le fondateur de l’Internationale situationniste, auteur de La société du spectacle, aussi vénéré que décrié, est sans cesse cité, souvent à tort et à travers. David Ayala donne à entendre cette parole insurgée. Toujours dérangeante.

Pourquoi faire entendre cette voix sur scène aujourd’hui ?
Guy Debord fut le plus radical et le plus aigu des penseurs dans la critique sociale et politique qu’il fit de la société. Il montre une sorte de vérité implacable. Lui n’a jamais pactisé avec le système, qu’il considère comme destructeur de l’humain. La société du spectacle, publié en 1967, est un texte fondateur, qui a irrigué la pensée de Mai 68 et influencé ensuite de nombreux philosophes, tel que Castoriadis, mais aussi bien des pseudo-intellectuels critiques de notre époque. Ses analyses, révolutionnaires sont très élaborées, très puissantes, donc dangereuses. Je ne dis pas qu’il faut les suivre mais elles m’ont beaucoup marqué dans ma réflexion sur notre monde, tout comme Artaud ou Bond.

La Ministre de la Culture vient d’ériger Guy Debord en « trésor national » pour que ses archives personnelles ne quittent pas la France. N’est-ce pas muséifier sa pensée, en désamorcer la charge insurrectionnelle ?

« Guy Debord fut le plus radical et le plus aigu des penseurs dans la critique sociale et politique qu’il fit de la société. »

Etrange retournement… Je ne crois pas pourtant que sa pensée ait perdu de sa virulence et de sa force d’impact. Au contraire, la crise mondiale qui nous frappe me semble en rappeler toute la pertinence visionnaire. En 1988, il a d’ailleurs réactualisé son analyse dans Commentaires à la société. Il développe déjà les notions d’« empire », de « biopouvoir », du « spectaculaire concentré et intégré ». Il montre comment la soumission dans une société de surconsommation et de sur-médiatisation passe par les nouvelles technologies.

N’est-ce pas la force du système capitaliste que d’intégrer ses propres critiques pour se renouveler, ainsi que le montraient notamment Luc Boltanski et Eve Schiapello dans Le Nouvel esprit du capitalisme?

Le système fait mine d’intégrer la critique. Mais pourquoi acceptons-nous de vivre dans la « servitude volontaire » et dans la soumission à un mode de vie dégradant, injuste, dévastateur et profondément aliénant ?

Sur quels matériaux avez-vous travaillé ?

Nous avons discuté des droits durant un an et demi avec sa femme, Alice Debord. Je voulais donner à entendre l’œuvre sans tabous, en dehors des débats et engagements qui ont marqué les générations précédentes, rester « innocent » à cette histoire, quitte à choquer. Pour évoquer le biopouvoir inscrit dans nos corps, il fallait montrer des images, internet, des visions de l’urbanisme, de nos villes, qui forment de décor de la société du spectacle. Nous avons collecté des extraits de télévision, des archives, des photographies ainsi que des films réalisés spécifiquement. Les textes viennent principalement de trois de ces films.

Comment mettre cette parole « en spectacle » ?

J’assume le paradoxe. Le spectacle se compose à vue, comme si les propos de Debord effectuaient un scanner de la société actuelle. Les images sont projetées et mises en interaction avec les acteurs et techniciens, qui font vivre cette parole en regard de l’actualité, dans des « situations » construites comme des séquences de tragi-comédie. La mise en scène pose la question du spectateur, en tant que citoyen consommateur, mais aussi bien sûr en tant que public. Scanner fonctionne sur des arrêts de la machine spectaculaire, comme si le théâtre s’épuisait, tombait en panne sous nos yeux.

Entretien réalisé par Gwénola David


Scanner, d’après Guy Debord, conception et mise en scène de David Ayala, du 2 au 21 mars 2009, à 20h, sauf samedi 21h et dimanche 16h, au Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, 03207 Saint-Denis. Rens. 01 48 13 70 00 et www.theatregerardphilipe.com.

A propos de l'événement


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