La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Crue

Crue - Critique sortie Théâtre Ivry-sur-Seine Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
D’une grande force évocatrice, un solo étonnant pour traverser un monde en métamorphoses. Crédit : Eric Blanc

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

Publié le 28 janvier 2016 - N° 240

Le nouveau solo de Martin Schwietzke est une invitation à cheminer dans des images poétiques et puissantes, tendues entre la création d’un monde et sa disparition.

C’est en marchant lentement, courbé, les yeux mi-clos et le visage grave, que Martin Schwietzke se montre à nous. Martin, ou plutôt son personnage, un être étrangement sombre, comme l’est son corps, plié et ployé sous le poids du temps et des choses qu’il porte, tel un danseur butô. Manipulant une grande sphère blanche, qui roule sur son corps ou se suspend dans les airs par d’infimes impulsions, ou donnant vie à sa petite jumelle, tout droit sortie de ses entrailles, il s’affaire comme un grand démiurge, rassemblant les forces de la gravité en lui, les dirigeant d’une main délicate mais assurée. Il semble accoucher du monde par sa bouche, le porter sur sa tête ou à bout de bras pour en éprouver la légèreté. Belle image que cette planète immaculée, dont il reconstitue les océans à l’encre bleue, par la simple rencontre entre les objets à qui il donne vie. Le spectacle est une traversée dans des métamorphoses séculaires, quand apparaissent petit à petit des règnes nouveaux pour peupler de vies, de formes et de chants cette longue épopée de la création. Une branche de bois, et c’est un arbre qui advient, ou bien un cerf, ou la racine qui s’ancre dans son corps et ne demande qu’à pousser… Deux formes planes et arrondies, et ce sont des ailes, qui se courbent au gré du vent et des déplacements, pour que surgisse l’oiseau…

Le langage du corps et des images

Tout le travail de Martin Schwietzke réside dans sa capacité à faire image, autant avec son corps qu’avec les objets. Ses gestes sont à la mesure des personnages qui l’habitent, travaillés par des postures corporelles et par un imaginaire qui fait tout de suite sens. Le matériau en est le prolongement, et suffit à accompagner le mouvement, sans pour autant en dissimuler les fragilités. Au fur et à mesure que ce monde croît, que la forêt emplit le vide du plateau, on découvre la vulnérabilité de cette poésie, quand le matériau brut est remplacé par l’outil (ici, une fourchette), ou par le déchet (le sac plastique). Si l’homme n’est pas figuré en tant que tel, on en devine tout de même ses effets sur ce monde, on en entend le tumulte. Au loin, la fumée éclipse les végétaux, et un épais brouillard recouvre l’univers onirique qui s’était installé. L’artiste nous laisse alors à nos images, libres d’imaginer si tout son bestiaire aura survécu à ces métamorphoses, et l’on aura fait, avec lui, cette étonnante traversée entre le monde originel et le monde tel qu’il est devenu.

Nathalie Yokel

A propos de l'événement

Crue
du jeudi 28 janvier 2016 au dimanche 14 février 2016
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
1 Rue Simon Dereure, 94200 Ivry-sur-Seine, France

Représentations tout public : les 3 et 10 février 2016 à 14h30, le 6 et 13 février à 17h, le 5 février à 20h, et le 14 février à 16h. Représentations scolaires : les 28 et 29 janvier 2016 à 14h30, les 1er, 2, 4, 8, 9, 11 février à 14h30. Tél. : 01 46 70 21 55. Spectacle vu au Centre Culturel Jean Houdremont à La Courneuve.

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