Créanciers
©Crédit : Élisabeth Carecchio
Légende : « Un trio d’acteurs flamboyants pour Créanciers. »
Crédit : Élisabeth Carecchio
Légende : « Un trio d’acteurs flamboyants pour Créanciers. »
Publié le 10 juin 2011 - N° 189
Créanciers et Mademoiselle Julie (1888) appartiennent au Strindberg naturaliste, un diptyque dramaturgique dense et ascétique, monté volontairement en miroir par Christian Schiaretti. Tension et flamboiement.
Strindberg génère un naturalisme des nerfs, et la pièce Créanciers est liée – comme Père et Mademoiselle Julie – à la théorie du combat des cerveaux et du meurtre psychique, à l’intérieur de salons sobres mais élégants où s’imposent fauteuil, sofa et méridienne. Créanciers évoque la vie privée du trépidant et difficile maître suédois. C’est en 1877 que Strindberg épouse Siri Von Essen, une aristocrate suédoise de Finlande qui rêve de monter sur les planches et dont il provoque le divorce d’avec son noble mari, ce qui entraîne une première crise psychique chez l’écrivain. L’artiste et Siri, dans la vie, correspondent, dans Créanciers, au couple tendance et bobo de l’époque, Tekla et Adolf, un duo cerné sans le savoir par Gustaf, l’ex-mari qu’Adolf ne connaît pas pour tel et dont Tekla ignore le retour. C’est l’absent qui frappe à la porte pour réclamer sa créance. « Quand ma femme est partie, j’ai passé les premiers jours sur un sofa tellement elle me manquait … j’ai retrouvé mes esprits », ce sont les premiers mots magnétiques de Gustaf à Adolf, qui vont impressionner le jeune époux dont les yeux sur les secrets de son âme s’ouvrent enfin. Peintre, l’illuminé Adolf est à présent un sculpteur qui doute de ses pouvoirs.
Un cumul acide de ratés et petits manquements
Tekla, auteur médiocre, provoque l’admiration des jeunes gens qu’elle séduit, et elle inspire à présent la méfiance et la haine de son mari. L’ex-mari verse son poison dans l’oreille de ce successeur fragile: « C’est du cannibalisme, elle a mangé ton courage, ton savoir, ta foi… » Il faut s’extraire du pouvoir de fascination des jupes comme des baisers étouffants féminins, dit la voix maléfique à sa victime. Tekla n’est qu’une coquette, une aguicheuse qui trompe son monde ; elle a mis à bas l’art authentique de son époux. La pièce décline un inventaire de griefs entre mari et femme extraordinairement moderne, un cumul acide de ratés et de petits manquements et arrangements mutuels et réciproques, qui étouffent les âmes les plus dégagées. La scénographie de Renaud de Fontainieu est pure, glacée et vernissée, un espace dédoublé, séparé par un voilage qui satisfait le voyeurisme de l’ex-mari, propice à ses agissements manipulatoires inavouables. Le fameux fil rouge strindbergien, telles les colonnes d’un lit à baldaquin, encadre symboliquement ce drame inhumain de trop d’humanité souffrante. Les acteurs imposent leur loi scénique : Christophe Maltot dans le rôle de l’époux est d’une sensibilité rare. Clara Simpson, somptueuse robe rouge, est une femme magnifique d’indépendance. Et Wladimir Yordanoff brille par son esprit dans cette vengeance secrète d’ex-mari.
Véronique Hotte
Créanciers et Mademoiselle Julie, de August Strindberg, mises en scène de Christian Schiaretti. Du 7 mai au 11 juin 2011. Créanciers, mercredi 19h30, vendredi et samedi 20h30, dimanche 18h30. Durée : 1h40. Mademoiselle Julie, mardi 19h30, jeudi 20h30, samedi 17h30, dimanche 15h30. Durée : 1h50. Théâtre de La Colline, 75020 Paris. Réservations : 01 44 62 52 52 www.coline.fr