Révélation. Red in Blue Trilogie
Mise en scène par Satoshi Miyagi, la troupe [...]
L’illusion dramaturgique portée à sa perfection par une savante architecture plastique et cinématographique exalte la dimension allégorique de la poignante nouvelle de Jack London. Un spectacle aux vertus magnétiques.
Comment faire exister l’Alaska, les immenses étendues gelées des rives glacées du fleuve Klondike dans un mouchoir de poche ? Il y a là une gageure d’autant plus difficile à soutenir que le paysage qui sert d’écrin au récit déchirant de Jack London Construire un feu, bien plus qu’un simple décor, joue un rôle crucial. Le plasticien, scénographe, réalisateur et metteur en scène Marc Lainé, amoureux du Grand Nord comme en témoignait déjà Vanishing Point, l’un de ses précédents making-off théâtraux, a trouvé là un défi à la mesure de son art. Les outils qu’il déploie démultiplie l’espace, absorbant la scène dans la fiction dramatique. Tout un appareillage cinématographique dans une version de modèles réduits – films, incrustations, maquettes, tableaux – prolonge l’action par effets de montage sur lesquels le texte vient rebondir avec force. La marche bouleversante de cet homme, « maître du feu », imprudent et impudent solitaire, que le très grand froid qu’il affronte va réduire à néant – le metteur en scène ayant choisi la seconde version de la nouvelle de London – devient celle de chaque spectateur touché au cœur par la puissance de l’évocation.
Une véritable performance dramatique
L’allégorie prend chair : le marcheur prométhéen, aux aspirations démiurgiques cristallisées par la formule cartésienne consacrée, « se rendre maître et possesseur de la nature », rencontre ses limites, celles du solipsisme et celles de la sauvage puissance naturelle. Cette recherche plastique qui porte l’illusion théâtrale à son comble, alors même qu’elle en expose toutes les ficelles, ne prend toute son envergure par le jeu percutant, d’une émouvante sobriété, des trois acteurs de la troupe de la Comédie-Française distribués sur ce spectacle. Le trio réalise une véritable performance dramatique. On leur doit d’entendre toute la beauté tragique du texte dans cette économie d’effets propres à la précision naturaliste, confinant au documentaire, qui est le sien. Dans la peau du marcheur et « maître du feu », Nâzim Boudjenah est épatant dans son voyage muet jusqu’à l’épilogue, dans un « combat perdu d’avance », oublieux de l’adage selon lequel « au-delà de cinquante degrés sous zéro, on ne doit point voyager seul ». Le rôle du narrateur, dédoublé par la volonté du metteur en scène, est alternativement tenu par Alexandre Pavloff (sensationnel quand il lui appartient d’incarner également le chien qui trotte sur les talons du marcheur) et Pierre-Louis Calixte, dont les talents de conteur font merveille. Une partition musicale impressionniste, un jeu d’éclairage subtil viennent parfaire un spectacle maîtrisé et très émouvant.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
Du mercredi au dimanche à 18h30. Durée : 1h15. Tél : 01 44 58 15 15.
Mise en scène par Satoshi Miyagi, la troupe [...]