Souvenirs d’un Européen
Jérôme Kircher fait entendre la voix du [...]
Christophe Rauck achève son cycle sur l’amour, entamé avec Les Serments indiscrets de Marivaux, et Phèdre de Racine, et retrouve des acteurs fidèles pour une pièce joyeuse, baroque et profonde.
« Il faut vivre l’amour. »
Pourquoi monter, ou plutôt remonter, cette pièce aujourd’hui ?
Christophe Rauck : C’est le deuxième spectacle que j’avais créé avec ma compagnie il y a tout juste vingt ans. J’ai toujours eu l’impression d’avoir raté ce premier rendez-vous. Quand on décide de remonter une pièce, c’est qu’on veut la redécouvrir. Les thèmes qu’elle aborde sont plus apparents pour moi aujourd’hui qu’à l’époque. Ma lecture est plus incisive, plus pertinente. Il ne s’agit pas de parcourir à nouveau le même chemin. On est dans une nouvelle aventure. Cette pièce magnifique est peu montée car elle est compliquée. Elle s’inscrit dans les interrogations poétiques nées avec Pétrarque dans l’Europe de la Renaissance. Si la France prend le chemin du néoplatonisme, avec l’idée de ne pas consommer l’amour, l’Angleterre, par la voix de Shakespeare, adopte une autre position, qui est celle de Rosalinde dans Comme il vous plaira : il faut vivre l’amour. Mais la pièce aborde aussi d’autres grandes questions : le pouvoir, le temps, la durée de la vie, le monde pensé comme théâtre, l’importance des pères dans la lignée… C’est une pièce véritablement baroque, et monstrueuse en cela.
Quelle lecture nouvelle en proposez-vous ?
C.R. : Avoir déjà monté la pièce m’a permis de savoir qu’il y avait des pièges où je ne voulais pas tomber. Par exemple, celui des espaces de la narration. Dès qu’on traite Shakespeare sous la modalité de la narration, on s’égare. Bien sûr, c’est un conte, mais à travers la fable, Shakespeare nous raconte quelque chose de beaucoup plus grand, il invente une langue, un monde. Il ne faut pas s’en tenir à la mise en place du château d’un côté et de la forêt de l’autre. Or, je me suis assez vite rendu compte qu’au début, toutes mes directives menaient à ça ! Je me suis dit qu’il fallait aller vite aux scènes de la forêt qui sont les plus fortes et les plus intéressantes. Le château pose l’intrigue, la forêt est le cœur du sujet. Si on traite toutes les scènes avec la même importance, la pièce n’avance pas.
Qu’est-ce que la forêt ?
C.R. : La forêt d’Arden, c’est l’endroit où on se pose, où on envisage la société autrement. Le château, lieu des intrigues et du pourrissement, est au loin. Elle est un lieu régénérateur. Elle fait évidemment référence à la forêt d’Ardenne où Pétrarque trouvait le calme et l’inspiration. Shakespeare s’amuse avec ce lien. Comme Pétrarque, Orlando écrit des vers sur l’amour de Rosalinde, qu’il sublime. La forêt est la page blanche sur laquelle s’écrit l’histoire d’amour, et Rosalinde, qui porte la parole de Shakespeare, aide Orlando à descendre des nuées en parvenant à le rendre amoureux de ce qu’elle est. La forêt est révélatrice : elle est aussi l’endroit où Jacques comprend que seul le titre de fou permet, par l’irrévérence, d’accéder à la représentation de l’autre.
Propos recueillis par Catherine Robert
Mardi, mercredi, vendredi à 20h ; jeudi et samedi à 19h ; dimanche à 16h. Relâche les 7, 8 et 15 mai. Tél. : 03 20 14 24 24.
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