Joyo ne chante plus
Lauréate du prix de la critique belge 2014 [...]
Créé en mai 2014 au festival de théâtre des Abymes en Guadeloupe, repris quelques mois plus tard dans le festival Off d’Avignon, Boesman et Léna* – de l’auteur sud-africain Athol Fugard – est aujourd’hui présenté au Théâtre de la Tempête. Une plongée dans les errances de l’apartheid mise en scène par Philippe Adrien.
Quelle impulsion a été à l’origine de votre envie de mettre en scène cette pièce d’Athol Fugard ?
Philippe Adrien : D’une certaine façon, en lisant Boesman et Léna, je me suis un peu retrouvé dans la même position qu’Athol Fugard lorsqu’il a rencontré, un jour, une femme sur une route qui lui a inspiré le personnage de Léna. Il a été saisi par sa détresse et je crois qu’il n’a pas pu ne pas écrire cette pièce. J’ai moi-même été tellement bouleversé par les destins qui sont évoqués dans cette œuvre, qui expriment quelque chose de l’ordre du malheur absolu, que je n’ai pas pu faire autrement que d’accéder à la demande qui me parvenait.
De quelle demande parlez-vous ?
Ph. A. : De la demande des personnages qui m’appelaient vers eux. Car les misérables, les pauvres, ceux qui sont dénués de tout veulent aussi exister, ils demandent aussi à ce qu’on les entende… Boesman et Léna – et spécialement Léna – réclament notre attention. Léna hurle dans un désert, gardant en elle l’espoir qu’un jour quelqu’un l’entendra.
Qui est ce couple qui vit, du temps de l’apartheid, en Afrique du Sud ?
Ph. A. : C’est un couple de Hottentots. Il vit, au milieu d’un désert, dans un « territoire de boue ». Tous deux essaient de survivre, ensemble, en cherchant des vers pour faire des appâts pour les pêcheurs. Mais, évidemment, leurs conditions de vie sont tellement difficiles que leur relation est secouée par de grandes tensions. On a d’un côté Léna (ndlr, interprété par Nathalie Vairac), qui garde désespérément en elle la perspective d’un mieux être, et de l’autre Boesman (ndlr, interprété par Christian Julien), qui ne cesse de lui mettre le nez dans la boue, de lui dire qu’il n’y a pas de possibilité de s’en sortir.
« Les misérables, les pauvres, ceux qui sont dénués de tout veulent aussi exister, ils demandent aussi à ce qu’on les entende… »
Qui est le troisième personnage qui intervient dans la pièce ?
Ph. A. : C’est une merveille d’apparition. Contrairement à Boesman et Léna qui sont métisses, ce personnage que l’on appelle Outa (ndlr, interprété par Tadié Tuéné) est un Cafre, c’est à dire en quelque sorte un comble de négritude. Ne parlant pas la même langue, il ne peut pas communiquer avec ces deux autres personnages. Boesman va tout faire pour renvoyer ce pauvre dans les ténèbres. Léna, elle, trouve en lui ce dont elle avait besoin : quelqu’un qui la regarde et l’écoute…
Il semble y avoir une dimension assez beckettienne dans ce trio…
Ph. A. : Oui, on pourrait dire ça. Car ces figures sont saisies pour l’éternité. Et les dialogues comportent une certaine cocasserie, une certaine étrangeté… L’humanité, lorsqu’elle est ainsi grattée à l’os, délivre quelque chose de très fort, de très profond, sur ce que c’est qu’un être humain.
* Texte publié aux Editions de l’Opale, dans une traduction d’Isabelle Famchon.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h. Durée : 1h10. Tél. : 01 43 28 36 36. www.la-tempete.fr.
Lauréate du prix de la critique belge 2014 [...]