La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Bérénice

Bérénice - Critique sortie Théâtre
Photo : Cosimo Mirco Magliocca Le confident (Bruno Raffaelli) présente sa cuirasse d’or à l’empereur Titus (Bakary Sangaré).

Publié le 10 mai 2009

La pièce de Racine (1670) est passée au crible d’une réflexion politique, citoyenne et existentielle par Faustin Linyekula. Un Titus africain, une Bérénice masculine, un Antiochus féminin, un confident européen, les figures traditionnelles du pouvoir se brouillent en tissant une fresque nouvelle, prometteuse d’avenir.

La tradition de Rome défend jalousement la pureté de son sang, elle interdit à son empereur le mariage avec une reine étrangère. Titus, nommé empereur en 79 avant J-C, est amoureux de Bérénice, reine de Palestine, aimée encore par Antiochus, roi de Comagène. La gloire impériale a le devoir d’abandonner la belle orientale. Aussi, avant de donner congé à Bérénice, faut-il à Titus faire l’aveu douloureux de son dilemme entre la loi et le sentiment. La déclaration n’est source d’angoisse que parce qu’elle témoigne d’un engagement amoureux sincère. La beauté de l’œuvre racinienne, plainte et élégie, se nourrit de la suspension toujours retardée de cet instant critique, attendu autant que redouté. Titus doit faire admettre à Bérénice le renoncement et la séparation à l’amiable dans des adieux à leur bonheur intime. Ni sang ni morts dans Bérénice, « il suffit… que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie », écrit Racine. Même Antiochus ne tire nul bénéfice des amants divisés. Pour le metteur en scène Faustin Linyekula, né au Zaïre devenu Congo, la pièceraconte l’expulsion de l’étranger, banni, exilé, rejeté tels ses concitoyens du continent africain en situation irrégulière et reconduits à la frontière par rapatriement forcé.

Pour décor à ce huis clos intense, des vêtures aristocratiques

La domination sur autrui appartient au pays hospitalier qui trie, sélectionne, accepte ou refuse. Bérénice a préparé moralement Titus à la gloire militaire, elle n’est en rien « étrangère » à Rome. La force tragique de la reine, bafouée par des règles contraignantes, tient à son refus d’un aveu d’échec. Si elle quitte la scène, elle part sans se donner la mort, une façon de renier la loi romaine de l’héroïsme guerrier et de la glorification de la virilité – de vains fanatismes. La figure féminine étrangère désamorce les enjeux de pouvoir, à l’image des choix dramaturgiques de Linyekula. Stature à peine tourmentée et voix abyssale, l’Africain Bakary Sangaré incarne la dignité impériale dans le port de la cuirasse du Titus de Grüber, une pièce du patrimoine des costumes de la Comédie-Française. Pour décor à ce huis clos intense, des vêtures aristocratiques suspendues et précieuses. Shahrokh Moshkin Ghalam, acteur d’origine persane, incarne Bérénice sans travestissement, maintien royal, port de tête et marche ample : c’est La Jeune Turque du peintre Jean-François Portaels. Céline Samie est un Antiochus touché par l’amour interdit. Les rôles de confidents reviennent à Jean-Pierre Raffaelli, prestance majestueuse et sonorités modulées d’outre-tombe. Un point de vue éblouissant d’élégance.

Véronique Hotte


Bérénice, mise en scène, dispositif scénique et chorégraphique de Faustin Linyekula, du 14 mai au 14 juin 2009, mercredi, vendredi, samedi à 20h30, mardi et jeudi à 19h30, dimanche 15h au Théâtre de Gennevilliers 41, avenue des Grésillons Tél : 01 41 32 26 26 www.theatre2gennevilliers.com

Spectacle vu au Studio Théâtre de la Comédie-Française.

A propos de l'événement


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