La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Aurore Fattier nous présente un  » Dindon » truffé d’éclats de rire insolents et iconoclastes

Aurore Fattier nous présente un  » Dindon » truffé d’éclats de rire insolents et iconoclastes - Critique sortie Théâtre Caen Comédie de Caen - Théâtre d'Hérouville
Vanessa Fonte, Claude Schmitz et Geoffroy Rondeau dans Le Dindon. © Simon Gosselin

Théâtre d’Hérouville / de Georges Feydeau / mise en scène d’Aurore Fattier

Publié le 9 octobre 2025 - N° 336

Un cauchemar joyeux, un cabaret queer, un vaudeville foutraque : Aurore Fattier continue son exploration de l’œuvre de Feydeau avec un Dindon truffé d’éclats de rire insolents et iconoclastes.

« Il n’y a pas de rapport sexuel. » Vlan ! Lacan donne le ton dès le début : cette phrase énigmatique est en exergue de ce Dindon puissamment disruptif, qui dynamite allègrement les habitudes spectaculaires, revisite Feydeau en le vivifiant, et interroge finement la mécanique du désir. Le dernier acte dans le fumoir de Rédillon scelle ce que tout le spectacle montre : il y a du fantasme, il y a de l’hystérie, il y a de la « fiction mâle » qui est un phallus mais n’en a pas, mais il n’y a pas de rapport sexuel. Lucienne, en bonne hystérique, ne trouve pas le « hommoinzun » qui pourrait la satisfaire ; Rédillon, atteint de rétifisme, bande mou ; Pontagnac finit castré par sa femme et celle dont il aurait voulu faire sa maîtresse ; Vatelin finit en espérant que Lacan a raison et que la femme n’existe pas… On cause beaucoup mais on couche peu : les sonnettes, le regard des autres et l’impuissance font céder sur le désir ! Aurore Fattier butine entre psychanalyse, anthropologie et sociologie des genres, ouvrant la scène à la fluidité des assignations, dans le trouble le plus total, au point qu’on finit par voir du porno partout, dans les costumes, dans le jeu, dans les corps et même dans les films animaliers projetés sur les murs de l’hôtel Ultimus, entre deux séquences cryptées mais suggestives.

Kaléidoscope fulminant

La belle idée, puisque modernisation il y a, est de montrer combien les rapports érotiques sont désormais mis en images. Si les bourgeois contemporains de Feydeau louvoient entre les masques et font en sorte de garder la face entre stupre et fornication, les amants modernes s’envoient en l’air en se filmant. La plaisanterie, dans la comédie de boulevard, amène les personnages à faire « mauvaise ou piètre figure », comme aurait dit Ervin Goffman : le spectacle d’Aurore Fattier appelle à renouveler l’analyse dans une société qui ne repose plus sur les taxons rassurants du cisgenre… Passionnante exploration que cette enquête théâtrale, moins marquée par l’après #MeeToo que par l’après des sommations identitaires. La scénographie sophistiquée de Marc Lainé et Stephan Zimmerl, la vidéo de Vincent Pinckaers, l’extraordinaire travail de Philippe Gladieux aux lumières, fabriquent une machine à jouer à plusieurs niveaux, entre lesquels l’œil se perd aussi rapidement que les esprits des bourgeois en goguette s’égarent entre vengeance et tromperie. Les comédiens (Thomas Gonzalez, Vanessa Fonte, Maxence Tual, Vincent Lecuyer, Tristan Glasel, Ivandros Serodios, Geoffroy Rondeau et Claude Schmitz) sont éblouissants. Entre tous, Marie-Noëlle en Gérôme et Peggy Lee Cooper en gérante de l’hôtel de passe, sont ahurissants de talent. Aurore Fattier réussit le tour de force de tenir la baraque théâtralement et de la casser anthropologiquement : respect !

Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Dindon
du mardi 7 octobre 2025 au samedi 11 octobre 2025
Comédie de Caen - Théâtre d'Hérouville
1, square du Théâtre, 14200 Hérouville-Saint-Clair

à 20h sauf le samedi à 18h. Tél. : 02 31 46 27 29. Tournée : les 15 et 16 octobre au Volcan, scène nationale du Havre ; du 19 au 30 novembre au TGP, à Saint-Denis ; du 13 au 15 janvier au CDN d’Orléans / Centre-Val de Loire ; du 20 au 24 à la Friche Belle de Mai, à Marseille ; les 28 et 29 janvier à la Comédie de Valence ; du 24 au 26 mars à la Comédie de Reims ; du 08 au 11 avril au Théâtre de Liège ; du 15 au 18 avril au Théâtre de Namur. Durée : 2h45. Spectacle vu à la Comédie de Caen.

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