Le Renard ne s’apprivoise pas
Fermons les yeux... La danseuse Nina Santes [...]
Avignon / 2013 - Entretien Ludovic Lagarde
C’est l’histoire d’un roi qui, aveuglé par l’orgueil, se confond avec sa fonction. Lear descend du trône mais veut rester monarque. Il a oublié qu’il est homme, sensible, vulnérable…. Il va le redécouvrir dans une expérience initiatique qui le mène à l’extrême de lui-même. Le metteur en scène Ludovic Lagarde s’empare de ce joyau tragique taillé dans l’âme humaine pour en explorer les plis intimes avec un brillant trio d’acteurs.
Par quel prisme abordez-vous la tragédie de Shakespeare ?
Ludovic Lagarde : La tragédie de Lear se noue en quelques instants, lorsqu’au moment de léguer son royaume, le roi demande à ses filles de quantifier leur amour et que Cordélia, la cadette, sa préférée, répond l’aimer comme une fille le doit à un père, contrairement à la surenchère de ses sœurs. Contrarié, il la déshérite et enclenche ainsi une mécanique qui va provoquer rivalités meurtrières, guerres, dévastation et misère. Comment cette décision, si prompte, a-t-elle pu conduire à une telle catastrophe ? Que s’est-il passé ? Quelles sont les forces obscures qui poussent les êtres à agir ? Nous revenons sur le parcours de Lear pour comprendre les mécanismes à l’œuvre et saisir les traumatismes de cet homme, liés à la vieillesse, à la filiation, à la guerre, au rapport au pouvoir… à l’impossibilité de s’en défaire et d’exister en dehors de sa fonction.
Comment les écrivains-traducteurs Frédéric Boyer et Olivier Cadiot ont-ils cheminé dans l’œuvre pour réaliser l’adaptation ?
L. L. : Ils ont traduit le texte puis procédé par coupes et montages, pour dégager l’essence de la tragédie de Lear, sans rien réécrire. La langue de Shakespeare livre sa toute puissance, dans un mélange de lyrisme et de pathétisme, de cruauté et de bonté, d’horreur et de visions fulgurantes. Notre version se concentre sur trois personnages, Lear, Cordélia et le fou, qui retraversent leur histoire. Cette quête dessine la dramaturgie, qui mêle les temporalités, le réel et l’imaginaire. Les événements d’antan reviennent ainsi par bribes, se cognent au présent, émergent comme autant de pièces à conviction du désastre qui s’accomplit. Nous avons conçu un dispositif sonore qui répète les mots du passé, les épisodes du trauma.
Ce qui appelle un jeu particulier pour les acteurs ?
L. L. : Je retrouve Laurent Poitrenaux, compagnon de route depuis longtemps, et travaille pour la première fois avec Clotilde Hesme et Johan Leysen, deux grands acteurs. Le processus de recherche s’appuie sur les propositions dramaturgiques que nous enrichissons par l’expérience du plateau pour trouver un chemin entre la figure et le personnage.
L’espace, la carrière de Boulbon, impose aussi sa scénographie naturelle. Comment l’intégrez-vous ?
L. L. : Cet espace creusé dans une carrière de pierres, sauvage, grandiose, forme une prison à ciel ouvert et évoque la lande dans laquelle erre le roi Lear. La nature, à la fois violente et violentée, est le théâtre de sa folie.
Entretien réalisé par Gwénola David
Fermons les yeux... La danseuse Nina Santes [...]