Erreurs salvatrices, de Wilfried Wendling avec Denis Lavant
À partir de textes d’Heiner Müller, fragments [...]
Comédie musicale entre drame et comédie/Gros plan
Dirigées par Ariane Mnouchkine, une vingtaine d’épatantes actrices brésiliennes reprennent la saga domestique imaginée par Michel Tremblay. Une flamboyante comédie musicale entre drame et comédie.
C’est « par amour pour le Brésil, par affection et admiration pour une magnifique petite bande de comédiennes » qu’Ariane Mnouchkine a accepté de superviser leur projet, se dissociant, une fois n’est pas coutume, de son cher Théâtre du Soleil. Par le désir de créer qu’il manifeste, par son existence même, ce projet s’oppose vaillamment à la désolation propagée par le gouvernement brésilien, qui maltraite les artistes et les citoyens. Quelle œuvre Ariane Mnouchkine pouvait-elle leur proposer ? Le souvenir d’un spectacle adoré a fourni la réponse. « L’adaptation musicale des Belles-Sœurs de Michel Tremblay, formidablement mis en scène par René-Richard Cyr, génialement mis en musique par Daniel Bélanger, dans un décor parfait de Jean Bard, me revint en mémoire et me parut être exactement ce qu’il leur fallait. » confie la metteure en scène. Traduite dans une trentaine de langues, jouée dans le monde entier et célébrée pour sa portée sociale et son verbe haut (elle fut initialement écrite en joual, langue parlée par le milieu ouvrier québécois), la pièce met en scène quinze femmes qui se réunissent dans une cuisine afin d’aider l’une d’entre elles. Germana a en effet gagné à une loterie un million de timbres qu’elle doit coller dans un catalogue afin de pouvoir remeubler sa maison.
Servitudes volontaires
Sœurs, belles-sœurs, voisines et amies se rassemblent et œuvrent ensemble, laissant émerger leurs rancœurs, leurs chagrins, leurs peurs, leurs rêves, en de saisissants monologues transformés en songs brechtiens. « Maudite vie ! J’peux même pas avoir une p’tite joie. » se désolent-elles, étouffées et épuisées par la routine domestique, les contraintes professionnelles, les exigences de maris qui se fichent de leurs besoins et leurs désirs. Force est de constater que bien qu’écrit en 1965, le texte n’a toujours pas perdu de son acuité et son actualité. Le quartier modeste de Montréal a laissé place à la périphérie de Rio de Janeiro, le joual au brésilien si chantant, et une vingtaine d’actrices âgées de 20 à 87 ans, distribuées en alternance, donnent voix à une flamboyante comédie musicale, galvanisée par une énergie collective communicative. La direction musicale de Wladimir Pinheiro assure une superbe cohérence aux chants. Entre grands moments d’émotions et veine comique quasi burlesque, entre voix parlée et voix chantée, la partition libère toute l’amplitude d’un portrait bouleversant de la condition féminine, dans ses dimensions collective et individuelle, pétries de servitudes volontaires. Dans l’espace si essentiel et si symbolique de la cuisine, ces guerrières du quotidien s’activent et se confrontent en une saga virevoltante et touchante. À ne pas manquer !
Agnès Santi