La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Anouk Grinberg

Anouk Grinberg - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : © Sarah Moon

Publié le 10 septembre 2009

Rosa Luxemburg ou le génie de la vie

Anouk Grinberg continue à cheminer en compagnie de Rosa Luxemburg, cette « amie littéraire » qu’elle ne quitte plus depuis qu’elle l’a rencontrée. La comédienne lit la correspondance carcérale de Rosa qu’elle a récemment retraduite et nous fait découvrir une femme attachante, libre et vivifiante.

Comment avez-vous découvert ces lettres ?
Anouk Grinberg : Il y a six ou sept ans, quelqu’un que j’aime beaucoup m’a offert un vieux livre : quelques lettres de Rosa Luxemburg. J’ai mis du temps à l’ouvrir mais quand je l’ai ouvert, je n’en suis jamais revenue ! Je n’ai jamais rien lu qui rende aussi heureux ! Personne ne connaissait ces lettres à part quelques militants de gauche. Je les ai lues à Arles puis au Théâtre de l’Atelier. Prise par l’énergie de Rosa, convaincue que ce qui m’était arrivé avec ce texte pouvait arriver aux autres et les transformer, je savais que mon histoire avec Rosa n’était pas seulement une histoire personnelle. Avec elle, c’est notre commune humanité qui est ranimée. Bernard Stephan, qui avait précédemment édité ces lettres, m’a demandé de refaire un livre à partir d’elles. Je ne connais pas l’allemand mais Laure Bernardi est arrivée. Pendant deux ans nous avons travaillé à quatre mains : elle m’envoyait le mot à mot, je rédigeai une version que je lui envoyais afin de parvenir, au bout de plusieurs allers-retours, à nous accorder sur le sens, le rythme et la beauté.
 
Comment s’est opéré le travail de traduction ? Et le choix des lettres du spectacle ?
A. G. : Rosa est complètement libre avec la langue et il fallait que nous le soyons aussi. Jusqu’à présent, toutes les éditions étaient coupées : ces textes étaient considérés comme le jardin secret ornemental de la vie et de l’œuvre de Rosa. De plus, les traductions étaient souvent raides car faites par des militants souvent peu libres avec l’émotion. Pour le choix des lettres lues sur scène, il y a d’abord ce qui me touche et je me fie à ça, mais en même temps, je m’en méfie. J’ai voulu un portrait très disparate car Rosa était une et pourtant pleine de facettes. Selon qu’elle écrit à l’homme qu’elle aime, à la petite Sonia, frêle amie qu’elle porte et protège, à Loulou avec laquelle elle s’autorise plus d’indignation, elle est différente.
 
Pourquoi choisir d’éclairer la vie privée de cette figure publique ?
A. G. : Quand les gens sont très pointus ou très réquisitionnés par le monde, ils sont souvent en friche intérieurement. Ce n’est pas le cas chez elle : entre la sphère politique et la sphère privée existe un flux tendu où la vérité circule. Quand on voyage dans sa correspondance, la politique affleure partout. Quand on développe très fort une partie de soi-même, et c’est souvent le cas des militants, c’est au détriment des autres. Rosa, elle, brûlait par tous les bouts. C’est une des rares femmes totales. Il n’y a pas d’angle mort en elle, tout est vivant, elle n’était étrangère à rien.
 
« Avec elle, c’est notre commune humanité qui est ranimée. »
 
Comment interprétez-vous Rosa ?
A. G. : C’est peu de dire que je ne me prends pas pour elle ! Nous sommes partenaires en quelque sorte. Je ne cherche pas à l’incarner. Je me sens très proche d’elle mais je n’ai pas l’impression de la jouer. Rosa avait de la distance, même avec elle-même. Cela m’a donné envie de trouver ma distance à moi avec elle. Elle est pour moi une amie littéraire. Je ne vis plus pareil depuis que je l’ai rencontrée et je suis certaine que cette rencontre peut avoir le même effet sur d’autres.
 
Pourquoi ?
A. G. : Parce qu’elle a le génie de la vie comme jamais je ne l’ai rencontré. En général, les gens intelligents sont désespérés. Elle était gaie. Tous ses combats visaient à améliorer la vie. C’est une amie extraordinaire avec ses amis et un contre-rouage à tout ce qui peut affadir ou éteindre l’amitié. Elle est tendre, elle est acérée, elle est fine, elle connaît tout du cœur humain, elle est impitoyable et elle a pitié aussi, elle est droite et tout en rondeurs, forte et faillible, gourmande et affamée. Elle connaît des abîmes dont elle se relève à chaque fois sans jamais se plaindre. Elle parle avec distance et respect de sa propre douleur… Bref, elle est intelligente ! Je crois qu’elle était très sensuelle aussi. Elle aimait les plaisirs et était viscéralement obsédée par la beauté : c’est de là que vient son sens politique, au contraire des hommes politiques qui séparent souvent la vie et la politique.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


 

Rosa, la vie, textes choisis et lus parmi les Lettres de prison de Rosa Luxemburg par Anouk Grinberg. Du 24 septembre au 4 octobre 2009. Théâtre de la Commune, 2, rue Edouard-Poisson, 93300 Aubervilliers. Réservations au 01 48 33 16 16. En tournée du 12 au 15 octobre au Quartz de Brest et du 3 au 13 décembre au Théâtre Kléber-Méleau de Lausanne. Sortie le 24 septembre 2009 de Lettres de prison de Rosa Luxemburg, textes choisis par Anouk Grinberg, traduits par Anouk Grinberg et Laure Bernardi, préface d’Edwy Plenel. Editions de l’Atelier. CD audio produit par France Culture inclus.

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