La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

33 tours et quelques secondes

33 tours et quelques secondes - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Cité Internationale
Légende : Le plateau sans acteur de 33 tours et quelques secondes. CR : Rabih Mroué

Théâtre de la Cité internationale / Linah Saneh et Rabih Mroué

Publié le 30 mars 2013 - N° 208

Expérience formelle d’un théâtre sans acteur, à la limite de l’installation, 33 tours et quelques secondes explore la réalité telle qu’elle se construit avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Artistes libanais, Linah Saneh et Rabih Mroué ont pour habitude  de poser un regard critique sur la situation de leur pays en même temps que d’interroger la représentation du réel et les possibles des formes théâtrales. A Avignon l’été dernier, ils ont présenté un étrange objet, 33 tours et quelques secondes, qui ne donne à voir que la chambre vide de Diyaa Yamout, pendant les heures qui suivent sa mort. Diyaa Yamout est un artiste militant des droits de l’homme, figure fictionnelle présentée comme réelle par les auteurs, dont l’histoire s’inspire de celle de Nour Merheb, artiste militant de la Laique Pride, qui s’est effectivement suicidé le 16 septembre 2011 à Beyrouth, suscitant par son geste une réelle émotion.  Dans le contexte des révolutions arabes, le parallèle est suggéré avec l’immolation de Mohammed Bouazizi, mais ici, la mort de l’activiste n’a d’impact qu’à travers les outils de communication disséminés dans sa chambre. Comme le chante Gil Scott Heron, “the revolution will not be televised”.

L’absent ne renaît pas dans le virtuel

Dans cette chambre donc, un écran d’ordinateur connecté au compte Facebook de Diyaa où se succèdent les réactions à sa mort, un téléphone qui continue de recevoir des SMS d’une amie palestinienne qui ne parvient pas à rentrer au Liban, un répondeur où une femme réfléchit à haute voix sur le rôle de la parole, une télévision qui diffuse des buts de Messi et des reportages visiblement à charge sur Diyaa Yamout, et, au tout début du spectacle, un tourne-disque qui se met en marche, pour que Jacques Brel chante « à mon dernier repas ». Le principe est simple, le suicide de Diyaa ne signe pas sa disparition mais suscite au contraire une flopée de réactions – amis, militants, médias – qui dessine une image de l’absent. Par ricochet aussi, la représentation d’un Liban où l’information est contrôlée et la liberté empêchée par la religion. Mais, malgré l’effervescence communicationnelle, le suicide de cet activiste des droits de l’homme qui se voulait aussi anarchiste, nourri de Chomsky et de hard rock, peine à trouver un sens sur son mur Facebook, et encore plus dans le vide de sa chambre. Entre interprétation politique et psychologique, entre désinformation médiatique et réactions affectives, l’absent ne renaît pas dans le virtuel, ni devant nous.  Au contraire, il disparaît, s’éparpille et s’efface, comme la matière d’un réel qu’on embrasse de plus en plus largement, mais qu’on éprouve de moins en moins directement.

Eric Demey

A propos de l'événement

33 tours et quelques secondes
du lundi 8 avril 2013 au samedi 20 avril 2013
Théâtre de la Cité Internationale
17 Boulevard Jourdan, 75014 Paris

Du 8 au 20 avril, relâche mercredi et dimanche. Tél : 01 43 13 50 50.
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