La Terrasse

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Les formations artistiques

Art en conscience : l’exigence contre l’excellence

Art en conscience : l’exigence contre l’excellence - Critique sortie
© Christophe Raynaud de Lage

Publié le 10 octobre 2009

Administrateur délégué aux arts du cirque à la SACD, nouveau directeur artistique de l’Académie Fratellini (où il fut élève), Jérôme Thomas est un immense artiste. Et son immense ambition pour les artistes repense entièrement la formation comme la condition de l’artiste : l’exigence contre l’excellence, la régulation contre la saturation, l’émancipation contre la réussite, la contribution contre l’individualisme, l’horizontalité contre la verticalité. Une vision de l’art et du monde qu’il s’attache à traduire concrètement, en actes.

Que pensez-vous de la place des artistes dans notre société ?
Jérôme Thomas :
Nous sommes aujourd’hui dans une société du chiffre, de l’évaluation, qui ne rend pas les citoyens heureux, génère des frustrations, et entraîne une compétitivité permanente. Ça ne suffit jamais, ce qu’on fait n’est jamais assez bien ! Les processus de compétition à l’oeuvre dans notre société se retrouvent dans le monde de l’art. Les artistes sont le reflet de la société : ils sont libéraux. Tous singuliers, uniques, tous communs dans leur singularité. C’est terrifiant. Je dis non. Ce n’est pas une fatalité. Certains artistes n’ont pas envie d’être le reflet de cette société-là. Au contraire ils ont envie d’avoir un autre regard sur le monde, un regard en recherche, horizontal ; ils prennent la tangente, ne s’intéressent pas à l’ascenseur social et n’ont pas le pouvoir de la parole. Nous devons construire une nouvelle imagination pour demain, et pour cela il est nécessaire de mettre de l’ordre, de réguler.

« Les élèves deviendront artistes si c’est plus fort qu’eux, et plus fort que nous. »

Comment réguler ? Et comment régler le problème de l’argent, nécessaire à la création artistique ?
J. T. :
Les subventions publiques ne peuvent s’accompagner que d’une régulation. De plus en plus de gens demandent des subventions, or elles sont en baisse. En un peu plus de dix ans, on constate 1000 % d’augmentation de demandes de licence d’entrepreneur de spectacles. Les compagnies s’accumulent et souffrent. Nous sommes arrivés à une mécanisation de la création et de la programmation. Le travail de diffusion doit être préparé deux ans avant sinon vous n’avez aucune chance.
C’est pourquoi les artistes doivent se coordonner via un capitaine, qui prend en compte l’intérêt général, la place et responsabilité de chacun au sein du groupe. Nous avons mis en place ce fonctionnement en Bourgogne pour les arts du cirque : les compagnies s’adressent à un coordinateur pour les demandes de subventions. Des réseaux d’artistes commencent ainsi à se solidariser, à avoir des démarches tournées vers l’autre et non pas vers soi. Cette prise de conscience et cette régulation consolident la notion d’exigence, défendue par les artistes, qui leur est réservée. La notion d’excellence au contraire, dangereuse et ambiguë, évoque l’unicité, Icare se brûlant les ailes…

Comment envisagez-vous la formation des artistes de demain ?
J. T. :
Tout est fait aujourd’hui pour que l’école montre qu’elle a des élèves qui réussissent. Ce postulat n’est plus en phase avec notre époque. Je prône une formation à l’émancipation plus qu’à la réussite, une formation à des pratiques pour mieux se connaître, pour ouvrir et prendre en main l’imaginaire. Il faut apprendre à apprendre plus qu’apprendre à réussir, savoir écouter, voir, entendre, ressentir, savoir rêver par les pratiques et les outils que l’on reçoit. Les élèves deviendront artistes si c’est plus fort qu’eux, et plus fort que nous. Je ne vais donc pas leur dire que je vais former des super interprètes qui connaissent tout à tout – de la dramaturgie (très à la mode en ce moment) à la demande de subventions. Je ne me situe pas à cet endroit. C’était très bien à une époque, mais plus aujourd’hui, sinon on va droit dans un mur. Il s’agit d’ouvrir les champs de l’imagination, d’être libre et disponible, émancipé du rapport à soi comme de la notion d’excellence. Il faut lâcher prise avec tout pour être un artiste, et avoir le monde comme horizon. 

Comment définissez-vous le cirque aujourd’hui ? 
J. T. :
  Après le cirque traditionnel, on a eu le nouveau cirque. Le nouveau cirque, c’est fini. Un nouveau chapitre s’ouvre, les arts du cirque avec ses registres : le cirque classique, le cirque contemporain, la magie nouvelle, le cirque végétal, le non cirque. Et les artistes nourrissent les œuvres de transversalités, le corps du danseur est aujourd’hui acrobate ! Mais chaque artiste est enraciné. Dans la création comme la transmission, le fond compte plus que la forme. Cette déclinaison ouverte des registres  constitue pour l’artiste un marquage de qui il est et pourquoi il le fait. Il se réapproprie ainsi son langage, il est à sa place.

Propos recueillis par Agnès Santi

A lire : Jérôme Thomas par Jean-Gabriel Carasso et Jean-Claude Lallias. Actes Sud, coédition CNAC.

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