C’est la faute à Rabelais
Eugène Durif et le musicien Pierre-Jules [...]
Troupe fière, verbe glorieux, étendard de l’idéal et poignante colère du sacrifice : Christian Schiaretti met en scène Une saison au Congo et célèbre l’union éclatante de la poésie et du politique.
« Voici des hommes noirs, debout, qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. », écrivait Sartre dans Orphée noir, préface à l’anthologie de la poésie nègre et malgache composée par Senghor. Telle est d’abord et avant tout l’impression qui se dégage du plateau où Christian Schiaretti réunit des Africains belges d’origine congolaise, des Congolais venus de Paris, les membres du collectif burkinabé Beneeré de Ouagadougou, et le chœur des citoyens d’origine africaine de Villeurbanne et de Lyon. La parole est rendue à l’Afrique avec ce spectacle : malgré ce que d’aucuns pensent encore, comme en attestent l’ethnocentrisme imbécile du Discours de Dakar ou l’incompréhensible discrétion de la commémoration du centenaire d’Aimé Césaire, l’Afrique pense et a une place au théâtre comme dans l’Histoire. Si Césaire, comme il le dit dans Cahier d’un retour au pays natal, est « la bouche de ceux qui n’ont point de bouche », Schiaretti et les siens sont les porte-voix de ce chant de colère et de fierté, celui de tous ceux qu’on fait taire et qui, comme Lumumba devant le roi des Belges, le 30 juin 1960, refusent de se plier au discours et à la loi de l’oppresseur.
La parole et le travail du collectif
L’arme de tout combat est la langue. Celle de Césaire, riche et flamboyante, le prouve. Schiaretti l’illustre en choisissant d’équilibrer le mélange, sur scène, des dialectes, des phrasés, des accents, des modulations et des adresses. La composition originale de Fabrice Devienne, les musiciens et les chanteurs qui interprètent leur partition en direct, ajoutent encore à cette impression de choralité exaltante. Les voix des hommes s’harmonisent quand tous ensemble chantent et disent la liberté. Cette euphonie se retrouve au plateau, dans l’équilibre du jeu autour du charismatique Marc Zinga. Sa ressemblance avec Lumumba est à ce point troublante qu’elle en devient presque insupportable au moment des ultimes tortures infligées au héros sacrifié d’un Congo bientôt dépecé par le clan Mobutu et les industriels occidentaux, alliés comme toujours le sont l’avidité et la gabegie. La scénographie de Fanny Gamet offre une belle lisibilité à la mise en scène qui unifie avec talent la force du collectif et l’intensité de l’intime. Le souffle orgueilleux du combat balaie le plateau, des scènes du soutien populaire, mené par Mama Makosi (magnifique Mbile Yaya Bitang) au cri déchirant de Pauline Lumumba (incandescente Bwanga Pilipili) : « je n’ai pas nom de pays ni de fleuve » dit celle que Lumumba appelle « Pauline Congo », résistante par avance à la zaïrianisation de Mobutu Sese Seko. Le Théâtre des Gémeaux est le seul à accueillir Une saison au Congo, après sa création au TNP et son passage à Fort-de-France : il est des exclusivités dont les courageux qui en prennent le risque peuvent être fiers !
Catherine Robert
Eugène Durif et le musicien Pierre-Jules [...]