La Terrasse

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Théâtre - Critique

Trissotin ou les Femmes savantes

Trissotin ou les Femmes savantes - Critique sortie Théâtre Marseille La Criée
Armande, Philaminte et Bélise (Maud Wyler, Marie-Armelle Deguy et Thomas Morris) conquises par les merveilles de la science. © Brigitte Enguerrand

Reprise / Région / La Criée / de Molière / mes, décors et costumes Macha Makeïeff

Publié le 30 août 2016 - N° 246

Soutenue par une distribution impeccable, Macha Makeïeff fait entendre avec un éclat renouvelé le combat émancipateur des femmes savantes. En transposant l’intrigue du Grand Siècle aux années 1970, elle souligne les excès et la violence des relations.

Avant-dernière oeuvre de Molière, écrite deux ans avant sa mort, Trissotin ou les Femmes savantes – ainsi nommée par Molière à la reprise de la pièce – est l’une de ses plus belles partitions. Une comédie à la moquerie puissante qui fustige l’ordre établi et pointe le désastre des relations familiales autant que les errements d’une quête de savoir éperdue et ridicule. Macha Makeïeff ose le passage du Grand Siècle aux années 1970, et cette transposition judicieuse fait formidablement écho à la fois à la folie d’émancipation des “femmes savantes“ et au désir de liberté des jeunes générations fuyant les diktats parentaux. Philaminte (Marie-Armelle Deguy), la mère gourou asphyxiante et intégriste, sa fille Armande (Maud Wyler), consacrée aux feux de la philosophie et bientôt sacrifiée, sa belle-sœur Bélise (Thomas Morris), érotomane virevoltante : emportées par la jouissance d’un savoir de pacotille et d’une science aux spectaculaires effets, « tympanisées » par le faux savant et vrai pédant Trissotin (Geoffroy Rondeau), petite frappe sans scrupules et vénale, les trois femmes savantes – à la mesure de leurs moyens et de ce que permettent les normes en vigueur – luttent, s’extasient et se plongent dans un délice sectaire. Le reste de la maisonnée se désole de cette folie monomaniaque : le père Chrysale (Vincent Winterhalter), pleutre, son frère Ariste (Arthur Igual), raisonnable, la cadette Henriette (Vanessa Fonte), qui se rebelle contre le joug maternel et préfère le langage de l’amour à l’amour du langage, la domestique Martine (Karyll Elgrichi), chassée, mais ô combien insolente et frondeuse.

Déchaînement des affects

Le projet de Philaminte d’unir Henriette et Trissotin déclenche enfin une salutaire confrontation. Conjuguant avec science tous les effets du théâtre, bien loin de la misogynie dont est parfois taxé Molière, la mise en scène donne à voir le tumulte, la puissance et la légitimité d’une rébellion, mais aussi le désarroi masculin qui s’accroche à ses repères et son petit confort. La révolte et le dépit de ces femmes, avides de dépasser « cette indigne classe où nous rangent les hommes », sont sujets à la moquerie autant que profondément sincères et touchants. Les excès des personnages et la violence des relations apparaissent avec force et avec fougue, et cela donne aux alexandrins de Molière un éclat renouvelé. Jamais léger car toujours teinté de gravité, le rire met en exergue toutes sortes de troubles qui bousculent les personnages au plus profond d’eux-mêmes. Entre désirs hallucinés et modèle bourgeois qui se fissure, déchaînement des affects et conformisme hérité, manipulations et contradictions, le désordre est total. La musique et les chants, le décor et son antre scientifique coupée du monde ainsi que les costumes colorés issus des seventies servent à merveille cette mise en scène très réussie où se jouent des conflits et combats ardents. Et finalement, la tragédie est toute proche…

Agnès Santi

A propos de l'événement

Trissotin ou les Femmes savantes
du jeudi 29 septembre 2016 au vendredi 7 octobre 2016
La Criée
30 Quai de Rive Neuve, 13007 Marseille, France

à 20h, sauf dimanche 2 octobre à 16h et mercredi 5 à 19h. Tél : 04 91 54 70 54. Durée : 2h15. Spectacle vu au CDN Orléans.

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