La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Trente-six nulles de salon

Trente-six nulles de salon - Critique sortie Théâtre Paris Le Centquatre
Jacques Bonnaffé et Olivier Saladin, duo clownesque. © Giovanni Cittadini Cesi

Le CentQuatre / de Daniel Cabanis / mes Jacques Bonnaffé

Publié le 17 janvier 2015 - N° 228

Deux frères d’armes verbales qui se détestent autant qu’ils s’aiment. Jacques Bonnaffé met en scène et interprète avec Oliver Saladin une joute jubilatoire, suite de saynètes loufoques et grinçantes.  

Ces deux-là ont fort à faire, ou fort à dire, ce qui revient au même car ici le goût de l’action rejoint visiblement le goût des mots ! Les mots qui font feu de tout bois, s’emparent de broutilles pour en faire des montagnes, et de catastrophes pour en faire des bricoles. L’essentiel est dans la confrontation jubilatoire, menée en conjuguant rigueur et folie ! Les drôles de clowns qui les portent, ces mots, se délectent de leurs joutes incessantes, recouvrant des sujets divers et variés : le chien du voisin, basset de base qui dégénère, la bibliothécaire sourde, les coups d’épée dans l’eau – qui l’hiver devient glace -, l’amour des mollusques ou des femelles zèbres, les réunions du mardi, la Préhistoire – celui-là nous a vraiment bien fait rire -, etc. Certaines séquences font mouche, d’autres moins, mais ces changements de régime n’empêchent pas la très bonne tenue de l’ensemble. Une suite de saynètes loufoques menées non pas tambour battant, mais à leur rythme propre, burlesque et soigné, un rythme de clowns qui savent comme personne se moquer du réel et le reconfigurer de manière tout à fait inattendue.

« Serial duel » au cordeau

Un « serial duel » au cordeau, où les attaques vachardes et les dénigrements qui caractérisent leur relation cachent mal la tendresse qui les relie, ou plutôt plus simplement le fait qu’ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. La preuve, lorsque l’un porte valise, c’est qu’il prend ses distances… sur place. Une scénographie malicieuse et quasi circassienne d’Anne-Flore Cabanis quadrille l’espace de longs rubans élastiques, qui en rajoutent dans l’empêtrement ou alors brutalement lâchent et s’envolent, voire se transforment en cordes musicales l’espace d’un instant. Mario et Mario : deux noms identiques pour marquer la gémellité de ces Bouvard et Pécuchet du quotidien. Et deux acteurs superbes : Jacques Bonnaffé, un athlète du verbe, qui occupe l’espace à merveille, à hauteur d’homme – créateur du génial L’Oral et Hardi et de Chassez le Naturel -, et Olivier Saladin, comédien majeur des Deschiens. Aux échecs, une nulle de salon désigne une partie nulle par consentement mutuel, et aucun des deux ne gagne dans ces « conversations pièges » selon l’auteur Daniel Cabanis. Le tout sans se prendre au sérieux. « Tu te crois sorti d’une cuisse grecque ? » lance Mario à Mario. A coup d’humour féroce mais pas méchant, cette partie vraiment pas nulle brosse un portrait délicieusement grinçant de ces deux frères d’armes verbales. Une partition théâtrale et clownesque avec comme carburant le sens de la répartie et une façon piquante d’aborder le réel : un vrai plaisir !

Agnès Santi

A propos de l'événement

Trente-six nulles de salon
du mardi 6 janvier 2015 au dimanche 25 janvier 2015
Le Centquatre
104 Rue d'Aubervilliers, 75019 Paris, France

Du 13 au 25 janvier à 20h30, dimanche à 17h, relâche lundi. Tél : 01 53 35 50 00.  Et du 6 au 9 janvier à 20h à la Comédie de Saint-Etienne. Tél : 04 77 25 14 14. Durée : 1h20. Spectacle vu au Théâtre du Rond-Point.

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