La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Trahisons

Trahisons - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Vieux-Colombier
Trahisons. Crédit Photo: Cosimo Mirco Magliocca

Théâtre du Vieux-Colombier / Trahisons / de Harold Pinter / mes Frédéric Bélier-Garcia

Publié le 25 septembre 2014 - N° 224

Pinter ausculte au scalpel la défaite des attachements, et Frédéric Bélier-Garcia met en scène cette histoire qui se souvient d’elle-même. Drôle, fin, élégant, abyssal et, à la fin, glaçant et poignant…

La force et l’intérêt de Trahisons tiennent à l’originalité de sa construction à rebours, occasion pour Pinter d’éclairer sous un jour inédit les relations complexes entre le mari, la femme et l’amant. La première scène voit se retrouver Emma et Jerry, qui se sont aimés dans le secret d’un appartement clandestin pendant sept ans, jusqu’à ce que le temps finisse par user leur ardeur. Pendant ce temps, Robert, le mari d’Emma et le meilleur ami de Jerry, savait tout et se taisait, par décence autant que par horreur des éclats, et aussi parce qu’il menait lui-même quelques aventures extraconjugales. Dans ce milieu privilégié où artistes, écrivains, agents littéraires et galeristes se trahissent et se possèdent entre exquise politesse et moralité incorporée, on jouit en tâchant d’éviter de faire souffrir, on préfère le stylet à la batte, le second degré au pugilat cathartique et la métaphore littéraire à l’affrontement vulgaire. Léonie Simaga, Denis Podalydès et Laurent Stocker incarnent ces trois bourgeois bien élevés, que leur capital social et culturel protège de l’indigence du reproche outrancier et de la grossièreté du tapage incontrôlé.

L’envers de la cuirasse

Frédéric Bélier-Garcia a voulu un trio intemporel, « arraché au tweed » dont on habille habituellement les élégants gerfauts de cette cruelle parade. Ni le décor ni les costumes n’arriment l’intrigue : le studio de Wessex Grove ressemble à bien des garçonnières de l’adultère. Se fissure alors la caricature d’un humour distancé, habituellement attribué aux Anglais. Drôles, certes, puisque fins et intelligents (et Podalydès excelle dans ce registre), Emma, Robert et Jerry paraissent surtout las, trop corsetés pour être sincères, mais surtout trop inquiets de l’équilibre entre joie et respectabilité, souci de soi et souci de l’autre, pour être heureux. Le tour de force de Frédéric Bélier-Garcia est de parvenir à renouveler la lecture de cette pièce archiconnue, en montrant ce qui manque autant que ce qui apparaît sous les masques et les faux-semblants. Emma, Robert et Jerry sont passés à côté de la sublime union de deux êtres imparfaits et affreux, dont le Perdican de Musset remarque qu’elle est la seule manière d’affirmer : « C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » On en rira, de peur d’avoir à en pleurer : ni Pinter ni Bélier-Garcia n’ont l’étoffe sentencieuse des moralistes ou le goût des larmes à la Werther. Mais le récit poignant que fait Podalydès d’un matin de solitude à Torcello suggère que la bienséance est un fardeau autant qu’une cuirasse. La subtilité de cette mise en scène parvient à le montrer de lumineuse et délicate façon.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Trahisons
du mercredi 17 septembre 2014 au dimanche 26 octobre 2014
Théâtre du Vieux-Colombier
21 Rue du Vieux Colombier, 75006 Paris, France

Le mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 44 39 87 00 / 01. Durée : 1h30.

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