Est-ce un hasard si dans TÔA on entend aussi Thomas ? Thomas Jolly parvient si parfaitement à retourner cette pièce-bilan de Sacha Guitry en un manifeste de sa propre envie de théâtre qu’on est porté à y voir davantage qu’une heureuse coïncidence.
Dès le départ, soulignons l’audace du choix. Pour sa deuxième aventure, la Piccola Familia – compagnie dont Thomas Jolly est le metteur en scène – s’approprie la pièce tardive d’un homme de théâtre attaqué pour son comportement opportuniste pendant la guerre, et souvent cantonné à un statut d’auteur de bons mots et de vaudevilles bourgeois. Difficile à faire accepter aux programmateurs soumis, comme tout un chacun, aux persistances des images. Surtout qu’en termes de réhabilitation, cette version de TÔA ne pouvait faire mieux. De politique, il n’en est pourtant qu’incidemment question, avec le personnage double de Guitry qui revendique dans la fiction un certain égocentrisme, et par conséquent, une indifférence aux événements extérieurs. Mais la réhabilitation qu’opère la Piccola Familia n’est pas politique : elle est poétique. Et ce à travers une histoire convenue : un écrivain de théâtre fait œuvre de sa dernière rupture. Des thématiques peu nouvelles : les rapports homme-femme ou la part de fiction et de réalité que renferme chaque œuvre. Et une action gigogne qui mêle vie privée et création dramaturgique dans un enchâssement parfaitement maîtrisé.
Une pseudo pièce à la Papa
Pour ce faire, le TÔA de Thomas et compagnie travaille au corps la langue de Guitry, son écriture rapide, nerveuse et percutante, produit d’un homme de plateau. A coup de répliques débitées rapidement, de gestes instinctifs – effets visibles du passage des mots dans les corps – de ruptures de registres et de décalages burlesques et absurdes, continûment, tel un palimpseste, la partition des comédiens déroule sur la vieille chanson du vaudeville la contemporanéité de sa musique. Dès le début, le ton était donné : au prologue mené devant le rideau, la comédienne ajoute aux mises en abyme de la pièce celle de la compagnie. Puis les comédiens fracassent violemment la vaisselle en avant-scène suivant le beat d’une mélodie électrique et rythmée. Il ne s’agit donc pas de rendre hommage mais de briser en incluant, de casser et d’englober, et par la rupture de tisser les liens improbables entre une pseudo pièce à la Papa et le théâtre d’aujourd’hui. Ces liens, ils tiennent en quelques mots délivrés in fine par un enregistrement de Guitry lui-même : la simplicité du jeu, l’amour du théâtre et la vanité de devenir populaire. Plus un peu de technique. Au rythme et à l’intelligence de la mise en scène, au jeu dynamique et stylisé de comédiens expressifs, drôles et speedés comme des personnages de dessins animés, s’ajoute alors la profondeur d’un final touchant : le désir vivant d’une compagnie relaie la confession du vieil auteur et la renverse en projet. Surprenant et brillant !
TÔA de Sacha Guitry. Mise en scène de Thomas Jolly. Au TGP, du 27 septembre au 17 octobre. Lundi, jeudi et vendredi à 20h, samedi à 18h, relâche le mardi et le mercredi. 59 Bd Jules Guesde à Saint-Denis. Tél : 01 48 13 70 00.