Criminel
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Soubresaut, dernière création du Théâtre du Radeau, ravira ceux qu’enveloppera sa singulière poésie.
Ecrire sur un spectacle du Théâtre du Radeau, c’est un peu comme y assister : on entre dans sa poésie ou on y reste extérieur. François Tanguy et sa compagnie tracent depuis un temps qui se compte en décennies une trajectoire unique dans le paysage théâtral français. Ils proposent un théâtre visuel, éclaté, artisanal, burlesque et poétique, encensé et un peu hermétique. A ce titre, ils constituent un trésor national à protéger, ce que consacre cette dixième invitation au festival d’Automne, puisqu’ils s’inscrivent dans une forme hors les modes, dans une démarche authentique qui creuse son sillon à l’écart du théâtre narratif classique autant que des formes spectaculaires et scandaleuses de l’ère post-dramatique. Soubresaut, le titre de leur dernière création, renvoie au dernier livre de Samuel Beckett – Soubresauts en français -, filiation qui se poursuit au plateau avec la présence de personnages à la fois clowns et fantômes, apparitions costumées qui traversent la scène souvent sans mot dire, parfois exhumant des paroles qui de nos temps se font rares.
Un ballet d’une fluidité remarquable
Kafka, Celan, Ovide, Valéry ou Dante sont ainsi de la partie sans qu’il soit gagné que celui qui n’a pas lu le dossier de presse auparavant parvienne à les identifier de lui-même. Un patchwork de paroles souvent poétiques et monologiques, prononcées dans leur langue d’origine, même si, à la fin, un dialogue de Labiche mené avec une réelle profondeur tragique – un beau burlesque – rompt cette rythmique. Pour ceux qui n’ont jamais vu un spectacle du Radeau, il faut imaginer un plateau encombré de bois, de planches, de cadres, de portes évidées et de tables, comme une remise ou un atelier, ici complétés de planches obliques que les acteurs gravissent et dévalent à la manière d’un toboggan. Il faut imaginer un ballet d’une fluidité remarquable malgré le bric-à-brac sur scène, des mouvements d’une précision extraordinaire. Il faut imaginer des comédiens emperruqués, parfois avec collerettes, parfois façon Belle Epoque, ou encore en armure donquichottesque. Il faut imaginer un univers sonore où les bruits du dehors se mêlent aux musiques plus solennelles de Bach, Haendel, Kagel et Rossini. L’univers du Radeau se reproduit, d’une création à l’autre, sans s’imiter. Il invite le spectateur au lâcher-prise, à l’ouverture des sens au-delà du sens, à se laisser imprégner d’une atmosphère, du souffle qui circule. Il interroge le théâtre et laisse parfois le spectateur perplexe. Il embarque ou laisse sur la rive.
Eric Demey
Jusqu’au 8 octobre, mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 20h, samedi à 19h, dimanche à 17h (le 8 à 15h30). Tel : 01 46 14 70 00. Durée : 1h20. En tournée au CDN de Caen du 28 au 30 novembre, à la Fonderie au Mans du 4 au 22 décembre, au TNS du 9 au 19 janvier.
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