La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Sonia

Sonia - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Antoine Grisoni Légende photo : Gundars Abolins révèle toute la délicatesse rustaude de Sonia

Publié le 10 octobre 2009

Le metteur en scène letton Alvis Hermanis dévoile l’intimité d’une rêveuse amoureuse dans un conte cruel et poignant. Du grand art.

Sans doute vivait-elle là depuis longtemps. Les années avaient patiemment sédimenté les menus reliefs d’une existence logée dans un épais silence…. Avaient patiemment calé l’attente sous le poids des habitudes, meublé tous les recoins du quotidien, un peu flétri les fleurs imprimées au mur, sûrement jauni les dentelles de jeunesse. Tout semblait figé dans l’absence, sagement rangé. Jusqu’à ce que deux cambrioleurs s’introduisent dans cette bonbonnière de vieille fille, fracturent le sceau des souvenirs, se glissent dans les plis de sa vie… et donnent corps au récit de Sonia. Femme naïve, gentiment idiote, enclose dans l’étroite solitude d’un cœur trop gros, Sonia brodait ses jours entiers au revers d’un immense imaginaire, faufilé de clichés amoureux et de mièvres chimères. Et tandis que ses pensées vagabondes vaquaient au lointain, elle occupait consciencieusement ses mains à laver, cuisiner, préparer, briquer, pour un autre encore absent, espérant qu’elle aussi connaîtrait l’Amour. La coquette ménagère en bigoudis offrait bien belle proie à d’attentionnés « amis » qui lui inventèrent un admirateur épistolaire. Tant et si bien que Sonia tout entière se donna à cette correspondance enflammée. Se jeta dans l’abyme.
 
Une mise en scène étonnante
 
Il fallait oser ce décor naphtaliné, minutieuse reconstitution d’un intérieur russe des années 40, oser le jeu expressif tiré de la traditionnelle pantomime, oser manier les codes du mélodrame et mettre un homme rustaud dans la peau de Sonia. Alvis Hermanis surprend à nouveau. Le metteur en scène letton, directeur du Nouveau Théâtre de Riga, ne s’embarrasse jamais des tics du « style », comme tant d’autres qui laminent un texte pour le couler dans les formes esthétiques d’une modernité convenue. S’emparant de la nouvelle de l’auteure russe Tatiana Tolstaia, il croise le mélo, l’hyperréalisme, le burlesque et le mime. Sans complexe, avec intelligence. Et grand art. Il joue en effet du décalage entre le vérisme maniaque du décor et l’univers fictif où cette délicate virago romantique s’envole en imagination. La concrétude triviale de sa réalité, qui seule la raccroche au monde, n’en est que plus poignante, ou drôlement pathétique quand elle bichonne son poulet rôti comme un nourrisson. Bouleversante, quand elle défend son amour jusqu’au sacrifice. Paradoxalement, la contextualisation extrême par le naturalisme, contrastée par le jeu et le travestissement, touche à l’universel, au cœur de l’humain. Les comédiens, Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs, d’une finesse et d’une précision remarquables dans chaque mouvement, donnent toute sa force d’humanité à cette fable dramatique et cruelle.
 
Gwénola David


Sonia, de Tatiana Tolstaia, mise en scène Alvis Hermanis, jusqu’au 8 octobre 2009, à 20h30, sauf jeudi à 19h et dimanche à 16h, au Silvia Monfort, Parc Georges Brassens, 106 rue Brancion 75015 Paris. Rens. 01 56 08 33 88 et www.lemonfort.fr. En russe surtitré. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2008.

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