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Théâtre - Critique

« Reine Pokou » de Véronique Tadjo, conte ivoirien divinement adapté par Françoise Dô avec trois comédiennes

« Reine Pokou » de Véronique Tadjo, conte ivoirien divinement adapté par Françoise Dô avec trois comédiennes - Critique sortie Jeune public SAINT ETIENNE Comédie de Saint-Etienne
Crédit : Sonia Barcet Légende : Yasmine Ndong Abdaoui (derrière) et Rita Ravier (devant)

Comédie de Saint-Etienne / D’après Veronique Tadjo / Mise en scène Françoise Dô

Publié le 24 janvier 2024 - N° 317

Françoise Dô adapte et met en scène Reine Pokou, conte de Véronique Tadjo qui prend pour figure principale Abraha Pokou, reine mythique de l’histoire nationale ivoirienne. À l’aide de trois comédiennes puissantes, le conte met au jour une épopée royale féminine en proie aux injonctions sociales du XVIIIème siècle, qui résonnent de manière évidente auprès de tous.

Dès l’instant où elles entrent au plateau, puissantes est le mot qui domine. Dans de longues robes blanches au tissu lourd, les comédiennes entament une marche déterminée, lente, en ligne droite : elles ne font qu’une. Alvie Bitemo est narratrice du conte et accompagne Yasmine Ndong Abdaoui et Rita Ravier qui partagent le rôle d’Abraha Pokou. Plus qu’un partage, c’est la dualité de la figure qu’elles incarnent, à la fois reine puissante et femme assiégée, entre « douleur et gloire ». À trois voix, le mythe prend forme et Abraha émerge, à l’aide d’une mise en scène d’une grande beauté dans laquelle la création lumière seule suffit à sublimer les comédiennes. Sur le plateau noir, vide, les paroles s’entremêlent, les interprètes jouant avec le rythme, les tonalités, de la voix forte d’Alvie Bitemo et avec celle, plus suave mais pas moins musclée de Yasmine Ndong Abdaoui, qui vient de quitter l’École de la Comédie. Promise à un grand destin, Abraha Pokou grandit et vieillit sous nos yeux, traversant les épreuves que son sang royal lui impose. Dans la salle silencieuse, les groupes scolaires présents à cette première ne disent pas un mot à l’écoute de ce conte qui nécessite une grande attention.

« Sacrifier son enfant pour sauver son peuple »

Abraha Pokou incarne un pouvoir au féminin qui suggère l’héritage évident que nous trainons encore aujourd’hui. Alors que l’enfantement ne vient pas, la reine se débat aussi face aux hommes de sa famille qui veulent sa place. Allant à l’encontre de toutes les règles sociales, les figures de la mère, de la femme et de la souveraine s’entrechoquent dans un jeu de miroir mené avec clarté par les deux comédiennes qui lui prêtent leurs visages. Le texte prend aussi forme dans les corps, lui donnant rondeur et immensité, par une gestuelle gracieuse aux lignes divinement dessinées. Les mots se dansent sur la création musicale de Marcel Jean-Baptiste. Ici, même l’enfant désiré n’est pas synonyme d’accomplissement puisqu’il sera sacrifié au nom du peuple, image terrible, métaphore d’un choix que beaucoup de femmes ont encore à faire trois cents ans plus tard. De ce sacrifice naîtra le peuple baoulé, de ba ou li : « l’enfant est mort ». La légende est-elle vraie ? Le corps marqué pour toujours, que le pouvoir ne répare pas, ne ment jamais. À découvrir.

Louise Chevillard

A propos de l'événement

Reine Pokou
du mardi 23 janvier 2024 au mercredi 31 janvier 2024
Comédie de Saint-Etienne
place Jean Dasté, 42000 Saint-Etienne

En journée et/ou le soir à 19h. À partir de 9 ans. Tel : 04 77 25 14 14. Durée : 1h.

Tournée :

Institut Français de Côte d’Ivoire le 16 février 2024
Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique le 29 février et 1er mars 2024

 

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