La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2014 - Entretien Christian Schiaretti

Poésie et révolution

Poésie et révolution - Critique sortie Avignon / 2014 Avignon
Crédit photo : DR

Opéra-Théâtre / Mai, juin, juillet / De Denis Guénoun /mes Christian Schiaretti

Publié le 23 juin 2014 - N° 222

Injustement écarté des précédentes programmations, le directeur du TNP, figure incontournable de la scène contemporaine, revient comme un symbole au festival d’Avignon, avec un spectacle où le théâtre ressuscite ses fantômes et interroge ses valeurs.

Après une longue mise à l’écart, vous voilà à Avignon. Comment le vivez-vous ?

Christian Schiaretti : Comme un baume, une réconciliation, un sentiment d’attention et de justice. Il a été difficile de diriger le TNP dans la responsabilité de son histoire et de ne pas être invité à Avignon une seule fois. Je ne discute pas ce choix, mais j’ai le sentiment qu’on répare un déni de légitimité. C’est un festival que j’aime, une aventure à laquelle je me sens relié par l’histoire. Quand Olivier Py m’a appelé, j’ai trouvé juste de présenter Mai, juin, juillet au moment de rouvrir une séquence, afin d’accompagner un homme dont les engagements sont du côté du texte, et qui s’inscrit dans un rapport festif, solaire et contradictoire au théâtre.

« Le lieu d’une maturité retrouvée dans le dialogue avec notre histoire. »

Pourquoi choisir de présenter cette pièce ?

C. S. : Parce que, fondamentalement, elle raconte les rapports de la poésie et de la révolution. Comment un mouvement révolutionnaire trouve-t-il ou pas son aboutissement ; comment est-il en contradiction avec l’utilisation vérifiée de la parole ; et comment rencontre-t-il la parole poétique, avec les résolutions que le théâtre peut lui apporter ? La tension entre poésie et révolution interroge le rapport au langage : la poésie, qui avance avec son énigme, retrouve-t-elle sa grandeur dans la contradiction d’un sens analysé ? Le théâtre vérifie-t-il l’application de la révolution dans la langue, ou ouvre-t-il vers un dépassement que le réel ne vérifie pas ? Ces événements posent ces questions-là.

Que raconte Mai ?

C. S. : L’irruption des émeutiers dans l’Odéon, considéré comme l’émanation du pouvoir gaullien, et le dialogue avec son directeur patenté, considéré comme un valet de ce pouvoir. Lorsque De Gaulle fait intervenir la force, il choisit l’Odéon comme premier lieu à libérer. Barrault voit les émeutiers comme les frères de sa jeunesse libertaire, mais ceux-ci lui règleront son compte en dévastant son théâtre. « Serviteur, oui, valet, non ! », dira Barrault, protégeant les émeutiers, viré par le pouvoir et ignoré par Malraux. « Qu’on l’enterre ! », dit De Gaulle, après qu’on lui annonce le mot de Barrault disant qu’il est mort…

Que raconte Juin ?

C. S. : La réunion à Villeurbanne des directeurs des grands théâtres de la décentralisation, sauf Vilar, qui refuse de venir. Nos outils sont-ils à mettre à disposition des émeutiers ou devons-nous les préserver pour ce qu’ils représentent d’art ? Telle est la question dont ils débattent. Dans ces débats, on entend s’exprimer l’histoire de la décentralisation et de sa limite : n’avoir pas inventé un théâtre pour un public qui ne vient pas. Toute la génération suivante, dont je suis, a vécu sur ce constat. De manière plus homérique, deux hommes se dressent l’un contre l’autre : Jeanson, défendant une mise en crise des institutions, à la recherche d’un théâtre politique à inventer et d’un « non-public » à trouver, et Planchon, qui affirme que les créateurs doivent prendre ces maisons et porter haut la parole. A Villeurbanne également, les syndicats vont imposer une conception très normative des outils publics, sédimentant l’organisation de ces maisons, assimilables depuis lors à n’importe quelle entreprise, et transformant des compagnons en travailleurs.

Et Juillet ?

C. S. : Juillet, c’est Avignon en juillet 68, et les événements qui ont conduit Vilar à se retrouver dans la tourmente des Carmes lors de la présentation du spectacle de Julian Beck et des charges policières. C’est la mort symbolique de Vilar, non pas assassiné par une meute chevelue, mais par le constat que son rapport à la jeunesse a raté, et que sa vision coercitive d’une émancipation par le savoir est dépassée. Une nouvelle jeunesse arrive, avec sa part incontrôlable de rock’n’roll. La commande que j’ai faite à Denis Guénoun était d’expliciter cette période. La résolution de la crise a fait advenir notre présent. La position de Planchon a sauvé le moment et confirmé les créateurs à la tête des maisons de théâtre. La question reste ouverte aujourd’hui et peut être adressée aux directeurs, anciens comme nouveaux : êtes-vous sûrs d’être les créateurs absolus de vos projets ? Avec ce spectacle, il y a de quoi discuter, attaquer et défendre. On discutera. Parce que ces débats sont toujours moteur, j’aimerais que ce spectacle soit le lieu d’une maturité retrouvée dans le dialogue avec notre histoire.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Opéra-Théâtre / Mai, juin, juillet
du lundi 14 juillet 2014 au samedi 19 juillet 2014


Festival d’Avignon. Opéra-Théâtre. Les 14,15 et 18 juillet à 22h ; les  16 et 19 juillet à 18h.  Tél. : 04 90 14 14 14.

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