« Pour votre bien » de la Cie Hippocampe, prend pour objet la peur, sonde à la fois son utilisation politique et la fascination qu’elle exerce sur nous
Pièce de théâtre gestuel intelligente et [...]
L’auteur, metteur en scène et comédien Nasser Djemaï revient à Vertiges (2017), émouvante plongée au cœur d’une famille dans une cité de banlieue, où revient le fils. Mêlant affliction et fantasmes, contraintes du quotidien et irruptions de visions oniriques, le spectacle s’avance vers une forme de réconciliation. En un bouleversant rituel.
Voilà 25 ans que Nasser Djemaï crée un théâtre subtil, à la fois intime et politique, nourri par son propre parcours de vie, par l’histoire de sa famille venue d’Algérie dans les années 1950. Un théâtre du quotidien pétri d’humanité où s’immiscent l’étrange, le désordre, l’imaginaire, bien loin de tout poncif, de tout simplisme, de toute attitude figée par la certitude. S’il revient aujourd’hui à Vertiges, initialement créé avec succès en 2017, c’est parce qu’il en ressent la nécessité : sa lecture de la pièce a changé, il en perçoit « beaucoup plus les profondeurs et les possibilités », autour de la question de la construction identitaire, chez lui toujours en mouvement, mais surtout de celle du transfuge de classe. Comme dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, Retour à Reims de Didier Eribon ou Par les villages de Peter Handke, un fils qui a réussi – interprété par Nasser Djemaï, en alternance avec Antony Audoux – revient dans sa famille, qu’il n’a pas vue depuis longtemps. Ils sont cinq. La mère, épuisée, qui nourrit, qui avance sans faillir, avec son franc-parler (impeccable Farida Ouchani) ; le père, très malade, qui a travaillé dur, et rêve de retourner dans son ancien monde, où l’attend une maison entourée d’arbres plantés avec amour (l’excellent Lounès Tazaïrt, déjà là lors de la première version).
Mettre l’amour aux commandes
Un couple sans prénoms, archétypal et pourtant singulier, habité par un passé tenace, miné par un présent qu’ils affrontent tant bien que mal (plutôt mal). Pour les soutenir, le frère Hakim, au chômage, et la sœur Mina, qui bosse toute la journée, peinent à trouver leur place (Yassim Aït Abdelmalek et Zaïna Yalioua, très bons). Une voisine fantomatique et solitaire s’invite aussi dans leur espace (Martine Harmel, elle aussi présente dans la mise en scène de 2017), comme une violoncelliste (Chiara Galliano), qui accompagne l’intrigue avec délicatesse. Si le fils Nadir débarque ainsi chez eux, dans un quartier qu’il trouve dégradé, c’est surtout parce qu’il est en plein divorce. Comme pour contenir le désordre de sa vie, le manque de ses deux petites filles, il range frénétiquement, chamboule l’ordonnancement bancal du quotidien. Est-il définitivement étranger parmi les siens ? Va-t-il agir comme révélateur ? Comme pacificateur ? À l’inverse de toute imitation réaliste, le spectacle parvient à s’attacher à ce qui fait sens, qui peut être dit, mais qui peut aussi être tu. Plus le spectacle avance, plus il gagne en intensité et complexité, la tension jaillit, jusqu’à une scène finale absolument bouleversante. Ancrée dans la réalité d’une famille immigrée, vivant dans un appartement de banlieue où l’ascenseur est en panne, la partition de Nasser Djemaï exprime les douleurs, les faillites et les fantasmes de ces vies minuscules, mais donne corps aussi à une réconciliation, à une réparation au cœur du tragique. Ici un touchant rituel met l’amour aux commandes contre tout le reste, et redonne sens au poids des héritages de manière éminemment libre et personnelle. C’est très beau, et très émouvant.
Agnès Santi
du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h. Tel : 01 43 90 11 11. Durée : 2h.
Également les 11 et 12 décembre à la Comédie de Colmar – CDN Grand-Est, les 9 et 10 janvier 2026 au CDN de Normandie-Rouen, du 4 au 6 février au Théâtre de l’Union – CDN du Limousin…
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