Arne De Tremerie et Olga Mouak puisent dans leur intimité pour créer « La Lettre » mis en scène par Milo Rau, un spectacle itinérant aux éclats de vérité bouleversants.

La commande est précise. Imaginer une forme légère et itinérante, jouée par un maximum de deux interprètes, afin de présenter un spectacle de haute qualité en dehors des espaces où se crée habituellement le théâtre d’art institutionnel. Ce qui revient, en somme, à reprendre à son compte l’idée de Jean Vilar lorsqu’il initia, en 1947, ce qui allait devenir le Festival d’Avignon. Cette année, après l’Argentin Mariano Pensotti en 2024, c’est le metteur en scène suisse Milo Rau, actuel directeur du Festival de Vienne, qui s’engage dans cette aventure. Le résultat est passionnant. Entre récits autofictionnels, éclats d’œuvres artistiques et interactions ingénieuses avec les publics, La Lettre éclaire la matière hétérogène d’univers qui s’entrecroisent, se répondent, creusent le domaine de l’intime en dessinant les failles poignantes de l’existence. On est happé par les histoires personnelles d’Arne De Tremerie et Olga Mouak, comédiens à la sincérité troublante qui nous racontent qui ils sont, d’où ils viennent, quelles sont les racines enfouies de leur vocation théâtrale.

Quand exigence et inclusivité font cause commune

Lui, Belge, était très proche de sa grand-mère Nina, présentatrice star de la radio flamande qui aurait adoré jouer La Mouette de Tchekhov, mais aussi voir son petit-fils interpréter cette pièce mythique. Elle, Française d’origines camerounaise et réunionnaise, également marquée par l’une de ses aïeules qui entendait des voix, a toujours rêvé d’incarner la figure de Jeanne d’Arc. La Lettre est l’endroit de tous les possibles, tous les espoirs, tous les miracles. Les défunts reprennent voix à la faveur d’un programme d’intelligence artificielle. Des spectateurs, sans avoir à bouger de leur siège, lisent des répliques de Tchekhov. La ferveur de la Pucelle d’Orléans renaît devant nous. Un acteur hors du commun exprime toute la force et la fragilité de l’humain en un regard, un seul geste, un simple sourire. Sa présence magnétique est le trésor précieux de cette proposition. En fin de représentation, Arne De Tremerie lit une lettre que son arrière-grand-mère a laissée à sa fille, Nina, le jour où elle est partie de chez elle pour ne plus revenir. « Vis ta vie comme une merveille, partage tes dons », écrit-elle. Ces mots nous emportent. Ils frappent au cœur du spectacle de Milo Rau qui présente d’autres grâces : les voix d’Anne Alvaro et d’Isabelle Huppert qui prennent, elles aussi, part à cette captivante réalisation.

Manuel Piolat Soleymat