La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Mesure pour mesure

Mesure pour mesure - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mai 2009

Adel Hakim traduit, adapte et met en scène la pièce de Shakespeare avec une maestria remarquable. Il en offre une lecture subtile et ironique, entre sérieux et grotesque, qui, sous le rire, montre toute la démesure affolante dont l’homme est capable. Une pièce sur le pouvoir, actuelle, drôle et corrosive !

Sous les feux de projecteurs de théâtre braqués sur les personnages, Adel Hakim orchestre la ronde immuable du pouvoir et des passions avec une maestria sans faille, en imbriquant les enjeux sociaux et individuels avec toute la complexité et l’humour requis. L’ordre public et l’instinct sexuel ainsi s’emmêlent avec une férocité et une hypocrisie réjouissantes. L’élégance de la scénographie, la netteté épurée des silhouettes – avec cependant de petites touches ironiques -, la beauté limpide des allégories, les couleurs tranchées – rouge, blanc et noir, d’une trompeuse évidence, car on sait combien notre ami William est éloigné de tout manichéisme dans sa vision de l’homme -, contrastent habilement avec la violente et absurde tempête qui secoue les citoyens, ceux d’en haut, et par ricochets, ceux d’en bas. Une tempête née de l’ivresse du pouvoir et du désir, qui fait naître des décisions aussi cruelles qu’injustes, ayant force de loi. L’impossible devient possible… Nous sommes à Vienne, et le Duc, esquivant ses responsabilités, a décidé de confier les pleins pouvoirs à Angelo. Il prend pour prétexte un voyage urgent, mais se déguise en moine et reste sur place, manipulant les uns et les autres. Le vertueux Angelo s’avère être un dirigeant froid et sévère, condamnant à mort Claudio pour avoir engrossé sa fiancée. La sœur d’Angelo, Isabella, novice dans un couvent, intercède auprès d’Angelo qui tombe sous le charme et lui propose d’épargner la vie de son frère à condition qu’elle s’abandonne à lui. Chantage monstrueux, qu’Isabella refuse.

La valeur éthique de la sanction et des lois
Tout le génie de cette pièce conduit à rire franchement des errements des puissants, – pourtant terrifiants ! -, à sourire face aux équilibres instables et aux frontières malléables entre pureté et impureté, mensonge et vérité, vice et vertu, châtiment ou clémence. L’intérieur et l’extérieur, le Palais et la Cité, sont scéniquement et par essence fortement liés, les décisions du palais bouleversant la vie sociale, le fonctionnement du pouvoir vouant chacun à un enfermement physique ou mental. Classée parmi les « comédies à problèmes », la pièce effectivement combine tragédie et comédie, sérieux et grotesque, émotion et rire, et la mise en scène ne cesse de souligner ces paradoxes, qui ne sont que le reflet des comportements humains. La traduction et l’adaptation d’Adel Hakim, fluide et accessible, rend la contemporanéité de Shakespeare saisissante, particulièrement lorsqu’on pense aux débats actuels sur la justice, qui méritent largement l’attention des citoyens de notre belle France ! Car ici ce qui fait notamment question c’est la valeur éthique de la sanction et des lois en général, qui interroge et détermine l’individu comme la cité. Toute une galerie de personnages lutte pour son bien-être, ou plutôt sa survie, du palais à la prison en passant par les maisons closes, mises à l’index par le dirigeant puritain. Une maquerelle aux formes généreuses, une police casquée, un de ses agents au nez rouge, un bourreau appliqué : la farce et la pantomime régalent le spectateur. Quant à l’amour, il s’apparente plutôt à une soumission à d’irrésistibles pulsions. « La chair a effacé l’esprit », dit Angelo. Les acteurs, Malik Faraoun, Frédéric Cherboeuf, Julie-Anne Roth, Nigel Hollidge… forment un échantillon humain fantastique, esbroufeur, colérique, clownesque, truculent, implacable, faible, froid, déterminé, désemparé…Et tout au long de la pièce, Adel Kakim déploie une ironie à la fois subtile et percutante, élégante et dévastatrice. 
Agnès Santi


Mesure pour Mesure de William Shakespeare, traduction, adaptation et mise en scène Adel Hakim, du 4 au 31 mai, du mardi au samedi à 20H sauf jeudi à 19H, dimanche à 16H, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 rue Simon Dereure, 94200 Ivry. Tél : 01 43 90 11 11.

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