Création d’« Antigone » de Dusapin
Klaus Mäkelä dirige Antigone, création [...]
Opéra traditionnel-théâtre-acrobaties-critique
Avec la compagnie taïwanaise Guoguang, Joris Mathieu et Nicolas Boudier revisitent et renouvellent avec finesse l’art de l’opéra traditionnel xiqu.
Tiré de La Pérégrination vers l’Ouest, l’un des romans fondateurs de la littérature classique chinoise, l’épisode de « L’Éventail de fer » narre les ruses et les combats d’un singe magicien et d’une princesse. Celle-ci pourrait, à l’aide de son éventail de fer, éteindre les incendies géants qui empêchent le singe et son maître d’atteindre l’Occident, si l’esprit de vengeance ne l’habitait. Sur scène, les artistes de la Guoguang Opera Company jouent cette histoire avec toutes les cordes de leur art, qui tient du théâtre, du chant, de la danse, de l’acrobatie et des arts martiaux. La compagnie taïwanaise, dépositaire des traditions séculaires de l’«opéra de Pékin », parvient à rendre lisibles, par des mouvements que l’on devine extrêmement codifiés, tous les ressorts du récit, y compris psychologiques ou fantastiques. Ainsi du singe qui se multiplie pour tromper la princesse : trois acteurs rejoignent alors le personnage principal dans une chorégraphie d’une précision hypnotisante. Les costumes, les maquillages, eux aussi chargés de symboles, concourent à faire vivre un art total. La musique aussi : le compositeur Wang I-Yu plonge dans les mélodies et sonorités traditionnelles, mais les élargit vers des développements empruntés à la musique classique occidentale.
Inversion des réalités
La mise en scène de Joris Mathieu et Nicolas Boudier emprunte la même voie. Le recours au théâtre optique – à travers la technique illusionniste du Pepper’s Ghost – permet d’amplifier les effets théâtraux sans les dénaturer. Dans la scène déjà évoquée où le Roi Singe se multiplie, les projections vidéo déploient ce mouvement à l’infini. Surtout, ce travail scénique permet d’élargir le propos au-delà du conte et de le replacer dans une perspective actuelle. En effet, le voyage du Roi Singe est ici mis en abyme. Le spectacle s’ouvre sur une scène domestique : une mère lit La Pérégrination vers l’Ouest à sa fille pour l’aider à retrouver le sommeil. À mesure que l’enfant s’endort, l’espace de la chambre s’efface et les personnages du conte apparaissent. L’inversion des réalités – la mère et la fille, plus tard le père, sont des images projetées (les acteurs Olivia Chabanis, Marion Talotti et Vincent Hermano) ; les personnages du récit initiatique sont eux bien présents sur scène – est particulièrement efficace. Elle permet, au cours du spectacle, d’alimenter une réflexion sur le monde contemporain : ces Monts de Feu que la ruse et la vengeance ne peuvent qu’attiser n’ont-ils pas quelque résonance avec les désastres écologiques et humanitaires d’aujourd’hui ? La lecture du conte donne à la jeune fille des clefs pour interpeler ses parents. Cette jeune Olivia est in fine adoubée par le Roi Singe et la princesse réconciliés. Cette production de L’Éventail de fer vient opportunément nous rappeler la puissance des mythes et leur nécessaire réintégration dans une vision humaniste. Par la magie que permet le théâtre, et grâce à une collaboration de longue haleine, Joris Mathieu, Nicolas Boudier et la Guoguang Opera Company en donnent accès aux publics de tous âges. C’est salutaire et magnifique.
Jean-Guillaume Lebrun
jeudi à 19h30, vendredi à 10h30 et 19h30, samedi à 18h
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