Amortale
Circus Ronaldo revient pour la quatrième fois [...]
Jorge Lavelli met en scène une pièce de bonne tenue sur le naufrage de la vieillesse, lorsque la maladie d’Alzheimer vous condamne à une tragique perte de repères. Réaliste et grinçant.
Deux sœurs, la Grande et la Petite, sont en train de manger et de se chamailler, au milieu des chats ronronnants. Rouquette, Gratou, Plume ou Brindille… qu’il faut nourrir avec des boîtes. La didascalie initiale de la pièce de Frédéric Pommier évoque un plateau chargé, un désordre de meubles et de bibelots, qui sera amené à se dénuder. Jorge Lavelli choisit au contraire d’installer d’emblée l’intrigue sur un plateau nu (mis à part une petite table et des chaises), encadré par de hauts murs capitonnés prolongés par un fin grillage. Avec des portes qui claquent, des fenêtres qu’on ferme ou qu’on ouvre sur une absence de perspective. Une scénographie qui signifie la tragédie de la perte de repères, l’immense désarroi de ceux qui deviennent irrémédiablement perdus dans leur tête et leur corps. L’équilibre vacille, la perte mentale isole radicalement. Le présent s’effiloche et se dilue, et le passé surgit par bribes intempestives. La scénographie et la mise en scène signifient aussi ici l’absence de soutien et d’humanité du corps médical, de l’administration ou des services sociaux. C’est une pièce à charge contre l’institution, présentée comme totalement inadaptée à la réalité jusqu’à en devenir burlesque et absurde.
Duo admirablement juste
Un côté burlesque cher au metteur en scène, qui surgit ici de façon discontinue, par saillies momentanées. Globalement le texte demeure fortement ancré dans le réel, au cœur de faits concrets qui rendent un peu incongrues de réelles échappées vers un absurde débridé. L’articulation entre réalisme et burlesque peut être délicate à mener. Frédéric Pommier a écrit son texte à partir de l’histoire qu’il a vécue avec deux amies d’enfance de sa grand-mère, qu’il aimait beaucoup, et qui ont quitté ce monde en 2006. Deux “vielles filles à chats“ sans enfant qui, privées de l’entourage nécessaire, se sont heurtées à des murs une fois fragilisées. Le ton est à la fois réaliste et férocement grinçant. Francine Bergé (la Grande, sombrant dans la maladie) et Catherine Hiegel (La Petite, plus rageuse) sont bouleversantes et admirablement justes. L’ensemble compose un spectacle de bonne tenue, même si les dialogues demeurent parfois au stade de l’illustration du réel. Les comédiens Raoul Fernandez (le Monsieur Dame), Francis Leplay (le Docteur), Sophie Neveu (la Tutrice) et Liliane Rovère (l’Auxiliaire de vie) sont tous impeccables. Un sujet d’actualité poignant et universel, qui a vraiment toute sa place sur une scène de théâtre. Un jour ou l’autre, les beaux jours (qui en l’occurrence n’étaient déjà pas si beaux que ça) s’enfuient.
Agnès Santi
Du 21 mars au 13 avril, du mercredi au samedi à 20h, mardi à 19h, dimanche à 16h sauf le 31 mars. Tél : 01 53 05 19 19.
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