Gogol après Tchekhov. Lilo Baur poursuit très heureusement son compagnonnage russe avec le Mariage, comédie farcesque interprétée avec brio par la troupe de la Comédie-Française.
Pas de développement fantastique dans cette comédie, mais comme dans les fameuses nouvelles de l’auteur du Nez et du Manteau, des personnages inadaptés qui ne parviennent pas à trouver leur place dans le grand cirque de la vie en société. Le premier d’entre eux, Kapilotadov – fonctionnaire comme beaucoup des anti-héros gogoliens – voudrait se marier mais ne parvient pas à se décider. « Il suffit qu’un idiot ouvre la bouche et tu es le premier à le suivre » résume son ami Plikaplov à propos de son caractère velléitaire. A force de ténacité, ce dernier parvient cependant à le convaincre de rendre visite à Agafia Agafanovna. Elle voudrait un mari issu de l’aristocratie – comme souvent les femmes chez Gogol. Son handicap, c’est la peur, ce sentiment de honte qui la submerge dès qu’elle doit affronter le moindre embarras. Elle est à peine plus mûre que la petite fille d’autrefois soumise aux rudesses d’un père violent. L’histoire commune de ces deux grands enfants est bien celle de la pression familiale et sociale qui à la fois motive leur désir d’épousailles et les rend inaptes au bonheur.
Toujours tendre avec les petites lâchetés humaines
Nous sommes pourtant dans une comédie, mais Lilo Baur a réussi à concilier le burlesque et le touchant chez ses personnages. Elle est aidée en cela par de remarquables comédiens, précis, à la fois sobres et près d’avoir l’œil qui frise, ponctuant de ruptures de ton et de postures physiques discrètes et éloquentes un jeu rythmé qui penche tantôt vers la satire, tantôt vers la farce. Alain Lenglet campe un hilarant ancien marin à la retraite, matamore bavard et obsédé fâcheux. Jean-Baptiste Malartre un précieux efféminé, ancien fantassin. Nicolas Lormeau, un gros huissier rustre du nom d’Omelette. Ce sont les trois autres fiancés potentiels qu’une marieuse trompeuse a trouvés pour Agafia Agafanovna. Chacun, muni de son statut social et de ses exigences, se présente à la porte de la jeune femme. Leur rassemblement vire rapidement au combat de coqs duquel notre fonctionnaire se tient en retrait. Réparties vicieuses, moqueries ironiques, vantards éconduits, personnages qui se fissurent composent alors la trame d’un humour qui reste toujours tendre avec les petites lâchetés humaines. Le trio repartira vaincu, fort quand même d’avoir porté le comique de Gogol sur tous les tons : grivois, farcesque, absurde, etc… Restent nos deux tourtereaux empêtrés dans leur timidité, surtout quand vient le moment de se déclarer. C’est une comédie mais il était dit que cette porte qui sépare constamment hommes et femmes au beau milieu de la scène ne pourrait pas les réunir. Quand les convenances étouffent, pour retrouver de l’air, le salut se trouve en effet souvent du côté de la fenêtre…
Le Mariage de Nikolaï Gogol, mis en scène par Lilo Baur. Du 24 novembre au 2 janvier au Théâtre du Vieux-Colombier. Tél : 01 44 39 87 00