La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Jeu de l’amour et du hasard

Le Jeu de l’amour et du hasard - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Porte Saint-Martin
Vincent Dedienne et Laure Calamy. © Pascal Victor

Théâtre de la Porte Saint Martin / de Marivaux / mes Catherine Hiegel

Publié le 24 janvier 2018 - N° 262

Pour sa troisième mise en scène au théâtre de la Porte Saint-Martin, Catherine Hiegel monte la plus célèbre pièce de Marivaux en privilégiant la langue et la comédie.

Silvia doit épouser Dorante, mais pour mettre à l’épreuve son promis, elle se fait passer pour sa femme de chambre, Lisette, avec l’assentiment de son père, Orgon. Ce qu’elle ignore, c’est que Dorante a décidé de faire de même en endossant le costume de son valet, Arlequin. L’expérience n’est pas sans rappeler celle de Cosi fan tutte, l’opéra de Mozart, tout comme le travestissement maîtres-valets des Nozze di Figaro. C’est dire si ces deux thèmes étaient à la mode au XVIIIe siècle où l’on réfléchit de plus en plus, avec le résultat que l’on sait, sur les rapports sociaux. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, modèle de ce genre léger qui a produit le mot « marivaudage », on pourrait ne voir que la belle mécanique. Celle des situations, où quiproquos et rebondissements s’enchaînent avant le retour à la normale (deux mariages entre gens de même condition). Celle de la langue, un petit bijou d’écriture, où le raffinement le dispute à la répartie. Il est certain que Catherine Hiegel a été sensible à ces deux facettes : avec une distribution enlevée (Laure Calamy à la vis comica irrésistible, le digne Alain Pralon, le généreux Vincent Dedienne, la nuancée Clothilde Hesme…), elle insuffle rythme, vivacité et plaisir de jouer. À l’évidence, l’ancienne sociétaire de la Comédie-Française s’est attachée à faire travailler ses comédiens sur la langue de sorte que non seulement elle sonne, mais que la musique des mots n’occulte pas l’écoute du texte.

Aucun désir de changement ?

Ajoutons à cela le beau jardin à la Fragonard de Goury, les superbes costumes de Renato Bianchi et les lumières efficaces de Dominique Borrini, tous les ingrédients sont réunis pour refléter « l’image d’une société immobile, suspendue entre le passé et l’avenir, d’une société qui refuse le changement, mais qui veut jouir, une dernière fois peut-être, de tous ses possibles multiples et contradictoires. », selon les propres termes de Catherine Hiegel qui compare Marivaux à un ethnologue et ne lit dans son œuvre « aucun désir de changement » (voir entretien La Terrasse n°261). Mais le seul fait d’observer, de décrire un processus, ce recul nécessaire ne font-ils pas déjà sortir l’ethnologue de sa neutralité ? On ne peut s’empêcher de filer l’analogie et de penser à Françoise Héritier qui, en identifiant comme invariant la domination masculine, n’a certainement pas donné à penser que ce privilège était immuable. Dès lors, on aurait aimé que la metteuse en scène prenne plus de risques et appuie davantage sur les aspérités de la pièce. D’autant qu’elles sont nombreuses et donnent le vertige : que restera-t-il de ce rêve caressé par les valets d’embrasser une autre condition sociale ? L’amour entre Silvia et Dorante sera-t-il vraiment ce bonheur parfait que la jeune aristocrate décrit alors que chacun a dupé l’autre ? Que restera-t-il enfin de la confiance entre un père et une fille qui se sont menti durant toute la pièce ? C’est ce vertige, aussi bien social qu’individuel, qu’on aurait aimé creuser pour que cette mise en scène du Jeu de l’amour et du hasard soit un peu plus qu’un beau livre illustré.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Le Jeu de l’amour et du hasard
du mardi 16 janvier 2018 au dimanche 29 avril 2018
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard de la Porte Saint-Martin, 75010 Paris

Du mardi au vendredi à 20h, samedi 17h et 20h30, dimanche 16h. Tél. : 01 42 08 00 32.

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