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Avignon - Critique

« Le dernier jour de Pierre » : la Cie DERAÏDENZ propose un grand écart entre l’anodin et l’horrifique, avec des marionnettes d’une finition superbe

« Le dernier jour de Pierre » : la Cie DERAÏDENZ propose un grand écart entre l’anodin et l’horrifique, avec des marionnettes d’une finition superbe - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Avignon Off. Théâtre du Train Bleu
Cie DERAÏDENZ - Le dernier jour de Pierre de la Cie DERAÏDENZ

Théâtre du Train Bleu / Conception, dramaturgie et mise en scène : Baptiste Zsilina en collaboration avec Léa Guillec

Publié le 12 juillet 2025 - N° 334

Le dernier jour de Pierre est une fable muette et étrange, d’un raffinement exquis sur le plan visuel. Le spectacle utilise une technique devenue rare – la marionnette à fils longs – et la met au service de scènes-paysages qui alternent entre légèreté champêtre et univers horrifique sombre. Baptiste Zsilina réalise là sa vision d’un spectacle totalement artisanal, dont le moindre élément sort des ateliers de la compagnie DERAÏDENZ.

La première chose qui est dévoilée, lorsque le rideau s’écarte, est un majestueux castelet en bois lustré. Son écran de scène s’ouvre bientôt sur un paysage désolé, traversé par un personnage seul. Cheveux hirsutes, silhouette longiligne, ses gestes sont doux et son allure dégingandée. On peut le suivre de près grâce aux jumelles de théâtre que le metteur en scène lui-même distribue à l’entrée de la salle – ce qui confère un caractère ludique à la représentation. Le modelage du visage de ce Pierre – et de celui des quelques vingt autres marionnettes du spectacle – est d’une grande finesse. Traits, couleurs, textures, tout témoigne de l’artisanat le plus minutieux. Les articulations des marionnettes sont une réussite : dans les infimes variations du port d’une tête, dans la position d’une main adressant une supplique au ciel, on lit le savoir-faire des marionnettistes. Les quatre manipulatrices connaissent leur instrument à fond : le fil est réputé difficile à maîtriser, mais elles font preuve d’une précision de déplacement, d’une fluidité, d’une capacité à se rapprocher du mouvement naturel qui sont confondantes. Cela donne un effet d’ensemble proche du réalisme, et génère l’émerveillement en même temps qu’une forme d’étrangeté. L’écriture du spectacle est très cinématographique, notamment parce que les marionnettes à plusieurs échelles permettent d’alterner plans larges et plans serrés.

La collision brutale de scènes d’une anodine douceur et de brèches d’une absolue noirceur

Si on met bout à bout ces tableaux de la traversée d’un village paisible, on n’obtient pas un récit, juste des instantanés d’une journée ordinaire, dans un environnement agraire naïf qui a quelque chose d’archaïque – et donc d’intemporel –, où les habitants parlent un grommelot qui mélange les sonorités de plusieurs langues européennes. Le caractère expérimental de la proposition se révèle dans une série de tableaux sombres, visions horrifiques qui viennent s’intercaler entre les scènes du village en utilisant la technique du théâtre noir. Il n’est donné aucune explication de leur provenance ou de leur signification : sont-elles les projections d’un subconscient tourmenté, la condamnation d’un pécheur à un enfer dantesque ? En tous cas, qu’il s’agisse de présences inquiétantes ou de morceaux de corps hybrides que n’aurait pas reniés H.R. Giger, aucun effort n’est épargné pour créer l’effroi – quitte à exagérer, en soutenant les scènes gore à grands renforts de faux sang. Il semble que cette collision du doux et du brutal, de la vie et de la mort, n’est que la métonymie de nos existences en équilibre précaire. Il n’y a pas de morale au Dernier jour de Pierre, qui nous laisse abruptement sur une dernière image sinistre ; mais sans doute chaque personne dans la salle est-elle renvoyée à sa quête personnelle, et invitée aussi à ne pas se sentir seule à porter son fardeau. Le public ressort de ce spectacle plongé dans une sorte de vertige, impressionné par le travail plastique et musical, par la finesse de la manipulation, mais déstabilisé par la noirceur de certaines images. À ne pas voir un jour de petit moral !

Mathieu Dochtermann

A propos de l'événement

Le dernier jour de Pierre
du samedi 5 juillet 2025 au samedi 19 juillet 2025
Avignon Off. Théâtre du Train Bleu
40 rue Paul Saïn, 84000 Avignon

à 11h00 (navette gratuite à 10h20). Site web : https://www.theatredutrainbleu.fr. Durée 1h.

spectacle présenté hors les murs au Pôle Culturel Jean Ferrat de Sauveterre.

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