Milo Rau reprend « La Lettre », un spectacle itinérant aux éclats de vérité bouleversants.
Mis en scène par Milo Rau, Arne De Tremerie [...]
Qui doit l’emporter : le sang qui a fait naître ou le lait qui a nourri ? Emmanuel Demarcy-Mota et la troupe du Théâtre de la Ville font entendre la voix de la tendresse et interrogent la transmission.
Pourquoi choisir de monter cette pièce ?
Emmanuel Demarcy-Mota : Pour trois raisons intimement liées entre elles : la troupe, le poète et le temps présent. Le poète, c’est Brecht, une des lucioles sur le chemin que j’emprunte depuis des années en compagnie des écrivains européens, de Büchner à Horváth, en passant par Wedekind ou Peter Weiss, qui évoquent tous la justice, la puissance du théâtre, l’élan d’une jeunesse qui peut mourir écrasée, l’espoir d’une rupture avec la violence, et la possibilité – que Brecht interroge directement –, de la justice et de la gentillesse dans le respect de l’autre. Brecht est comme le nœud borroméen qui constitue la structure de notre patrimoine poétique de résistance : les membres de la troupe du Théâtre de la Ville, qui ont traversé ces œuvres depuis tant d’années, le rencontrent nécessairement. Moi-même qui ai découvert cette pièce à huit ans, à Lisbonne, après la Révolution des Œillets, je ne peux pas traiter ce qu’elle évoque de l’engagement et du respect sans rendre intérieurement hommage à João Mota et Teresa Mota, Richard et France Demarcy, qui ont construit leur travail intellectuel et artistique autour de l’émancipation, en résistants et fondateurs d’un théâtre collectif. J’ai ce sentiment d’une dette qui est le résultat d’un don, qu’on ne rembourse pas plus que la Terre ne rend au Soleil la lumière qu’elle reçoit. Chacun a une culture malgré soi : reste à savoir ce qu’on en fait avant d’avoir à répondre devant le néant.
Comment la troupe passe-t-elle de Shakespeare à Brecht ?
ED.-M. : Choisir Brecht a répondu à la nécessité de continuer ensemble et collectivement, avec plaisir, liberté et fantaisie à interroger le monde, sans entraves ni autocensure, depuis cet endroit absolu de recherche qu’est le théâtre. Du Songe, qui porte en lui le drame de Pyrame et Thisbé, nous partons dans la nuit pour reprendre un conte chinois qui amène au Cercle. Cette même troupe revient faire du théâtre dans le théâtre, refusant de quitter le plateau où elle a été heureuse, allant chercher, après Shakespeare, celui qui va chercher chez lui pour écrire. Le monde ne surgit pas de rien : seul Dieu le croit ! Par un système qu’on pourrait dire de catachrèse, nous transformons les personnages du Songe d’une nuit d’été, traversant la forêt pour aller vers la montagne du Cercle de craie caucasien. Azdak, Groucha, Pyrame, Thisbé sont comme les constellations pérennes du ciel sous lequel nous jouons : elles nous dépassent, nous éclairent, resteront après nous, et nous cherchons, avec une troupe dont les membres ont entre 21 et 87 ans, pour continuer à construire en précisant les enjeux de contenu liés à l’ici et maintenant.
Telle est donc la troisième raison…
ED.-M. : La question du temps présent est fondamentale. Voilà plusieurs décennies que je travaille avec les membres de cette troupe, avec François Regnault, Valérie Dashwood, Philippe Demarl, Elodie Bouchez, Gérald Maillet et Sarah Karbasnikoff, pour ne citer qu’eux. Ensemble, nous devons comprendre ce siècle dans lequel nous sommes désormais installés, face à ce qui se passe aux États-Unis, où Brecht a connu le maccarthysme, face aux élections au Chili, au retour de l’Europe des extrêmes, à celui d’une certaine droite française qui retrouve ses origines profondes, maurassiennes, racistes, masculinistes, xénophobes et antisémites. On a caressé l’espoir que ce retour n’aurait pas lieu : Camus autant que Miller et Ionesco nous ont avertis de son risque. Mais comme Bérenger dans Rhinocéros, « je n’arrive pas à barrir », nous n’arrivons pas être comme eux ! La joie du travail collectif permet de travailler contre la dépression et la dépréciation du combat. Lutter par l’idée, par la pensée, permet de travailler contre les accommodements. Azdak n’exerce pas seulement la justice mais l’interroge. Les personnages de cette pièce nous conduisent à penser nos quêtes, nos aspirations et nos idéaux, et pas seulement à nous amuser et nous divertir. S’il y a deux parties dans cette pièce, c’est aussi, disait Brecht, afin de pouvoir la revoir et échanger à son propos. La force et la fonction du théâtre public se tiennent là.
Propos recueillis par Catherine Robert
Du mardi au samedi à 20h (sauf le 30 janvier à 20h30), le dimanche à 15h. Tél. : 01 42 74 22 77. Durée : 1h50.
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