Don Juan revient de guerre
Une réécriture peu connue du mythe de Don [...]
Le dramaturge allemand PeterLicht brosse le portrait d’une jeunesse occidentale avachie dans le consumérisme et l’égoïsme.
Ils ont la vingtaine passée ou presque. Depuis tout petits, ils barbotent dans l’idéologie tiédasse d’un bonheur garanti sur factures, exactement proportionnel à la consommation. Pour faire sa vie, faut du fric, pour avoir du fric, faut que papa lâche son capital, qui leur revient de droit par héritage. C’est simple, non ? Donc, ils ont les nerfs car le vieux ne semble pas décidé à leur laisser son magot de sitôt, ni même à crever. Au contraire, il entend bien jouir de la vie et de sa fortune, voire à s’échapper du système. En attendant, ils squattent chez lui avec copains et copines, bouffent des chips, listent les trucs qu’ils pourraient avoir envie de vouloir ou rêvent à coups de « faudrait » et de « devrait ». Entre Stallone et Mickey dressés en effigies, ils perdent leur temps, crachent leur rancœur par salves d’insultes et ressassent en boucle leurs récriminations. Se retrouvent pour un karaoké. Travailler ? Gagner sa vie ? L’idée ne leur traverse pas l’esprit, même pas en ombre. Se révolter ? Pour quoi faire ? Avachis dans le consumérisme, ils veulent entrer de plain pied dans le capitalisme, pas le changer ni surtout le casser.
Une vie en karaoké
Dans cette pièce créée en 2010 à Berlin, PeterLicht puise ses figures dans L’Avare de Molière : Harpagon, son fils Cléante et sa fiancée Marianne, sa fille Élise et son prétendant Valère… bien sûr Frosine. La référence prend sens par la différence, qui pointe avec une cinglante acuité l’inquiétante mutation de la société. Harpagon apparaît ici moins en despote patriarcal mesquin qu’en dissident luttant contre la suprématie de l’argent et le discours dominant. En contraste, le dramaturge allemand donne la vision déprimante d’une jeunesse non seulement irresponsable, cupide et fainéante, mais qui a réduit le langage à peu de mots et ne s’exprime que par invectives ou karaoké (beau symbole d’ailleurs d’une génération qui répète à plaisir des paroles déjà écrites…). La jeune metteuse en scène Catherine Umbdenstock, formée notamment à Berlin, mène sa troupe avec une belle énergie et intelligence. Le spectacle, parfois un peu gauche ou brouillon, n’évite pas les longueurs ni les lourdeurs, notamment quand se mélangent questionnements existentiels, apologie de la décroissance ou plaidoyer écologique. N’empêche qu’il montre avec une acide drôlerie la déliquescence d’une génération sous l’emprise de l’argent.
Gwénola David
Mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18 h, dimanche à 16h, relâche lundi. Tél. : 01 48 33 16 16. Durée : 1h35.
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