La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Putain de l’Ohio

La Putain de l’Ohio - Critique sortie Théâtre Paris theatre de l'aquarium
Crédit photo : Pierre Grosbois Légende photo : Eric Petitjean dans La Putain de l'Ohio.

CRITIQUE
Théâtre de l’Aquarium / La Putain de l’Ohio / d’Hanokh Levin / mes de Laurent Gutmann


Publié le 18 novembre 2012 - N° 203

Guillaume Geoffroy, Eric Petitjean et Catherine Vinatier interprètent avec un époustouflant talent La Putain de l’Ohio, féroce parabole existentielle que Laurent Gutmann met en scène avec brio.

L’héritage devrait être transmission de valeurs et non pas d’argent ; l’amour devrait être don et non pas vente. Hoyamer, vieux mendiant qui n’a plus rien à perdre que les quelques shekels qu’il cache au fond de ses godillots, décide de se payer une pute pour fêter ses soixante-dix ans. Après une âpre discussion avec Kokotska, gagneuse désabusée qui a renoncé à tout mais demeure intraitable sur le prix de la passe, il accepte de foutre au tarif syndical, mais perd ses moyens au moment du coït. Amortissement de l’investissement oblige, il offre à Hoyamal, son fils, mendiant comme lui, d’honorer la prostituée et l’engagement paternel… Sans la drôlerie irrésistible des répliques de Levin (remarquablement traduites en français par Laurence Sendrowicz) et l’éblouissant talent avec lequel Eric Petitjean et Catherine Vinatier installent les conditions de cette transaction improbable, on frémirait d’horreur devant tant de cynisme et de crudité ! D’autant que Laurent Gutmann n’enjolive rien, et donne tout à voir de la crasse physique et morale de ces misérables sordides. Mais le talent de l’auteur et celui du metteur en scène résident dans la transformation subtile du grotesque en sublime. D’abord par la langue, puisque Hoyamer, rhéteur impitoyable et poète du déchet, a des allures de taon socratique, bien plus noble que la nécessité qui l’afflige. Ensuite par la scénographie, qui campe un décor non réaliste, dans lequel les personnages évoluent comme des figures métaphysiques.

Etre ou ne pas être, rêver peut-être…

Sur la scène gravillonnée et en dessous de chromos colorés du rêve américain, se succèdent les différentes étapes de la lutte à mort entre ces trois avatars caricaturaux du désir. Prestige de la puissance paternelle et déboires de l’impuissance sexuelle ; dépit du père d’avoir perdu la tendresse du bébé dans le fils adulte et reproches du fils au père devenu glacial ; regrets de la femme chez la prostituée dont le cœur racorni ne palpite plus que pour l’argent : ces trois-là aimeraient aimer mais n’y parviennent plus que dans leurs rêves. Naissent alors, par la force du verbe poétique, les lubies et les mirages consolateurs d’une vie meilleure. Pour Hoyamer, cette existence idyllique a les couleurs de l’Ohio et la forme de la plastique parfaite de ses putains, qui couchent gratis et offrent à leurs clients des plaisirs suaves et sucrés comme la glace aux amandes… Guillaume Geoffroy, Eric Petitjean et Catherine Vinatier interprètent avec autant de respect que de force les personnages complexes inventés par Levin. Ils parviennent à maintenir l’équilibre entre la grossièreté prosaïque et le lyrisme du rêve, sans vulgarité ni mièvrerie ; ils sont toujours justes, émouvants et drôles. Laurent Gutmann et les siens réussissent là un travail à la tenue impeccable et à la force peu commune.

 

Catherine Robert

 

A propos de l'événement

LA PUTAIN DE L'OHIO
du samedi 11 août 2012 au vendredi 30 novembre 2012
theatre de l'aquarium
Route du champ de Manoeuvre, cartoucherie

Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Du 8 au 30 novembre 2012. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 74 99 61. Durée : 1h30.
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