La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres

La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2010

Une lecture polyphonique théâtralisée et éclatée du récit de Flavius Josèphe, portée par la voix de Jeanne Moreau. Une performance plus qu’une véritable mise en scène d’Amos Gitaï.

Après une adaptation créée quinze ans auparavant en Italie, Amos Gitaï revient à ce texte de Flavius Josèphe qui ne l’a pas quitté, éternel écho de notre actualité. Le récit précis et fouillé retrace la guerre des insoumis juifs contre les Romains Vespasien et Titus, jusqu’à la prise de Jérusalem en 70 et au siège de Massada en 73, qui marque la fin de la rébellion juive. Plus de neuf cents personnes se donnèrent alors la mort plutôt que de se rendre aux Romains. L’auteur est en soi une énigme contradictoire : d’abord combattant contre les Romains en Galilée, il est fait prisonnier et laissé en vie à condition de raconter les triomphes romains. Devenu Titus Flavius Josephus, il témoigne avec un sens du détail d’autant plus précieux que ce texte est l’un des seuls sur cette époque. Il fait aussi entendre les dissensions intestines qui déchirent la Judée. Amos Gitaï décrit l’auteur comme « un historien, un homme engagé et un grand journaliste ».

Voix mises en espace

Les lois de la guerre, la cruauté qui sévissent entre vainqueurs et vaincus sont intemporelles et chaque spectateur peut ou non reconnaître à sa guise les résonances avec notre actualité. Comment appréhender un tel texte ? Amos Gitaï met en place une lecture théâtralisée plus qu’une véritable mise en scène, faisant entendre les divers points de vue comme autant de narrations isolées, de blocs indépendants. C’est une partition, un oratorio où chaque instrument-narrateur joue ses notes selon sa langue et sa logique propres sans aucun lien avec les autres, sans dialogue : tragique séparation, et aussi incontestable limite théâtrale. Français, anglais, hébreu, arabe… Chef des rebelles juif, général romain, mère désespérée…  Pour une polyphonie sans surtitrage et sans synthèse. Les personnages sont ici des voix, et seulement des voix mises en espace, ce qui n’est déjà pas mal étant donné la valeur du texte, mais ne suffit pas à véritablement poser question et créer une tension dramatique. Au centre, assise, à la table, tournant les pages du manuscrit, Jeanne Moreau est la voix de Flavius Josèphe, magistrale et assurée. C’est elle qui porte la pièce. La voix de Jerome Koenig est celle de Vespasien, en anglais. En même temps résonne celle de Gérard Benhamou en français (Titus), ce qui agace fortement et gêne l’écoute. De chaque côté, des échafaudages abritant les romains, au fond un “orchestre“ de tailleurs de pierre, et aussi un violon, une guitare électrique, de splendides chants ashkénazes par Menachem Lang. A la fin la “plaidoirie“ du chef de Massada Eléazar (Eric Elmosnino), d’une radicale et superbe intensité, au mépris de la mort. Une société et une narration totalement atomisées, signe évident de malheurs… comme pour mieux souligner la nécessité ou le rêve d’inventer de nouvelles relations entre les hommes.

Agnès Santi


La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres d’après La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe, mise en scène Amos Gitaï. Du 6 au 9 janvier à 20h, le 10 à 15h, au Théâtre de l’Odéon, 75006 Paris. Tél : 01 44 85 40 40. Spectacle vu au Festival d’Avignon.

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