Dom Juan
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Pour sa dernière création comme directeur du Théâtre de la Commune, Didier Bezace donne à partager l’écriture délicate et pudique d’Hubert Mingarelli.
Les paroles doucement bruissent et laissent dans leur sillage l’ombre vive d’un trouble, quelque chose d’une émotion indécise quoique tenace. Elles coulent par flots paisibles, glissent dans les commissures du souvenir, s’accrochent au vol d’un silence. C’est qu’Hubert Mingarelli trame ses histoires dans la guipure des mots… Des histoires simples de pères et de fils, qui disent entre les lignes les blessures enfouies dans la chair des années, qui murmurent les mélancolies d’enfance, la douceur âcre des regrets et des chimères. Dans La Dernière Neige, roman paru en 2000, l’écrivain suit le parcours initiatique d’un jeune garçon qui fait l’apprentissage du prix de la vie. Enfant tiré des jeux d’insouciance par la maladie de son père, alité dans sa chambre, il s’évade en rêve à tire-d’aile d’un milan qu’il a repéré dans le bric-à-brac d’un commerçant du bazar. Pour l’acheter, il accompagne en promenade les vieillards d’un hospice contre quelques pièces. Il se résout aussi à exécuter de vilaines besognes pour une poignée de billets. A peine de méchants forfaits selon l’ordre de la société, mais tout de même, de petits crimes qui posent des tâches rouges sur la conscience. Le prix à payer.
Tout se paye, le bien comme le mal
Le garçon-narrateur trouve dans l’oiseau un désir à partager avec son père qui s’éteint lentement. Il lui décrit la capture héroïque du milan, maintes fois réinventée, avec force détails et embardées lyriques. Ces brèves conversations percées dans la solitude du quotidien tissent à demi-mot le fil d’amour complice qui les relie l’un à l’autre, irrémédiablement. Didier Bezace aime ces textes qui suggèrent l’ineffable par une poétique du regard et des silences. L’acteur et metteur en scène, qui quittera le Théâtre de la Commune en janvier prochain, a choisi l’écriture délicate et pudique d’Hubert Mingarelli pour « dire au revoir comme un acteur salue avec gratitude le public qui l’a si chaleureusement soutenu pendant quinze ans. ». Cet auteur discret « a le talent de ceux qui savent nous faire regarder autrement le monde et les gens. » dit-il. Seul en scène, Didier Bezace porte le récit sans fard et déploie sa signature esthétique : scénographie minimaliste, précision des lumières et du son, naturel du jeu, intensité de la présence. Appuyé sur un pupitre de bois à l’ancienne, il feuillette un cahier d’écolier couvert de dessins et se souvient. On imagine à petites touches le paysage intérieur qui se dessine au revers des mots, on sent la fêlure intime, qui chuchote loin dans la brume, infiniment.
Gwénola David