La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Coupe et les lèvres

La Coupe et les lèvres - Critique sortie Théâtre
Légende : onze comédiens, chœur et personnages de Musset.

Publié le 10 octobre 2010

Ce n’est pas à un classique de Musset, ni d’ailleurs à une véritable pièce, que Jean-Pierre Garnier s’est attaqué. Avec onze jeunes comédiens, son choix de privilégier un travail choral était-il le meilleur moyen de faire entendre La Coupe et les lèvres ?

Drame ou poème ? Fâché des échecs de ses pièces précédentes, Musset publie en 1832 un recueil intitulé Spectacle dans un fauteuil. Le titre indique clairement que l’auteur compte dorénavant être lu plutôt que représenté. Dans ce recueil, La Coupe et les lèvres, drame en 5 actes, est d’ailleurs davantage le résultat d’une écriture poétique que scénique. On y retrouve, à travers des alexandrins parfois peu académiques qui nourrissent de longues tirades, les habituelles obsessions d’un Musset déchiré toute sa vie entre l’aspiration à la pureté et la conscience lancinante des forces sombres qui dictent ses comportements et dirigent le monde. Longtemps réservé aux jeunes filles, pour ses poèmes d’amour, Musset est aujourd’hui largement considéré comme l’écrivain de l’adolescence perdue : quand les idéaux fleurissants de la jeunesse se heurtent aux réalités cruelles du monde adulte.

Romantiques révoltés et réactionnaires

C’est d’ailleurs dans cette perspective d’ausculter le malaise de la jeunesse de ce début de siècle, qu’après Les Enfants de Bond et L’éveil du printemps de Wedekind, Jean-Pierre Garnier met en scène ce texte. En témoignent l’âge moyen de sa troupe et le parti pris d’intégrer quelques extraits des Confessions d’un enfant du siècle : ce qui se joue ici est la question d’une révolte de la jeunesse d’aujourd’hui. Car dans ce poème dramatique – catégorisons-le ainsi – Franck Charles commence par brûler la maison paternelle – tout un symbole – avant de partir dans une vie d’errance où ni l’armée, ni la religion, ni l’argent ne lui offrent de bonnes raisons de vivre. Musset est né au début d’un siècle qui se lamentera longtemps de l’embourgeoisement de la société et de la perte de ses valeurs. Déjà. C’est toute l’ambiguïté des romantiques à la fois révoltés et réactionnaires. Et dans cette quête d’idéal, l’amour lui aussi est à la peine. Il se fait difficilement une place, tiraillé entre deux figures féminines typiques et contrastées : une prostituée et une jeune innocente qui déchirent le cœur du personnage. Porté par une diction qui fait entendre un scrupuleux respect des règles de la métrique, le texte peine parfois à se faire comprendre dans ce travail choral millimétré, et parfaitement exécuté, où l’ensemble des comédiens s’échange les rôles, les double, les triple, diffracte des répliques en canon, ou se les passe en relais. A force d’effets de groupe, le jeu se fait haché, maniéré aussi, sauf celui plus naturel et touchant de Marie Nicolle. Et l’ironie de Musset, son autodérision, se perdent dans la souffrance de ses personnages, son pittoresque dans le cliché, le talent des comédiens dans un engagement certes intense et entier, mais qui aurait gagné à être moins contrôlé.

Eric Demey


La Coupe et les lèvres d’Alfred de Musset, mis en scène de Jean-Pierre Garnier. Du 22 septembre au 24 octobre au Théâtre de la Tempête. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h30. La Cartoucherie, 75012 Paris. Tél : 01 43 28 36 36. Durée du spectacle : 2h.

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