Les Affaires sont les affaires
Dans un espace épuré, Claudia Stavisky [...]
Ils ont marqué l’histoire du théâtre moderne : Monsieur et Madame Smith, Monsieur et Madame Martin, la bonne – Mary – et le capitaine des pompiers. Ce sont les personnages de La Cantatrice chauve, œuvre d’Eugène Ionesco dont Laurent Pelly s’empare de façon magistrale au Théâtre national de Toulouse. Une formidable machine à rire et à regarder le monde.
Une anti-pièce. Un essai de théâtre abstrait ou non figuratif. Un drame pur, « anti-thématique, anti-idéologique, anti-réaliste-socialiste, anti-philosophique, anti-psychologique de boulevard, anti-bourgeois » explique Eugène Ionesco (1909-1994) à propos de La Cantatrice chauve dans Notes et contre-notes. Une tentative de libérer le théâtre de ses partis-pris pour en faire « un instrument de fouille ». Quel est le champ d’investigation de cette machine dramatique créée en 1950, œuvre expérimentale qui participa à réinventer le théâtre de la seconde moitié du XXème siècle ? Les uns et les autres. Vous et moi. Tous les humains d’un monde qui semble aller à sa perte sans pour cela jamais parvenir à en finir véritablement. Un monde comme en équilibre entre contingence et non-sens, au sein duquel femmes et hommes se cherchent en faisant l’apprentissage concret de leur condition par la désarticulation du langage, la dislocation du discours, la mise à distance de la rationalité. Ici, ce sont les Smith et les Martin que l’on observe. Deux couples bourgeois tout droit sortis d’une Angleterre de carte postale. Mais ce pourrait être n’importe qui. N’importe quelle autre personne, de n’importe quel pays et n’importe quelle classe sociale. Comme Mary, par exemple, la bonne des Smith. Ou le capitaine des pompiers, qui sonne à la porte sans raison.
« A propos, et la Cantatrice chauve ? / Elle se coiffe toujours de la même façon. »
En pointant ainsi du doigt la vacuité de l’existence, la superficialité des relations sociales, Eugène Ionesco a inventé une partition de situations et de répliques d’une exigence redoutable. Il faut des acteurs profondément inspirés, hautement imaginatifs pour parvenir à sublimer le formalisme de ce théâtre loufoque, pour le rendre pleinement vivant. En fin connaisseur de cette écriture oscillant sans cesse entre drôlerie et désespoir, Laurent Pelly (qui a déjà, par le passé, mis en scène trois pièces de l’auteur) a su réunir des interprètes d’envergure. Ce sont Georges Bigot, Christine Brücher, Alexandra Castellon, Charlotte Clamens, Régis Lux et Mounir Margoum qui incarnent ces pantins aux idées sans suite et sans ordre. Ce sextuor de haut vol se révèle proprement irrésistible. Au sein de l’imposante scénographie créée par le metteur en scène (qui signe également les costumes), c’est un spectacle d’une grande netteté qui se révèle à nous. Et d’une extrême intelligence. Le co-directeur du théâtre national de Toulouse offre ici une nouvelle jeunesse à La Cantatrice chauve. Soixante-cinq ans après la création de la pièce, il fait de notre époque le brillant réceptacle d’un théâtre de l’absurde qui n’a pas pris une ride.
Manuel Piolat Soleymat
Les mercredis et jeudis à 19h30 ; les mardis, vendredis et samedis à 20h30 ; les dimanches à 16h. Relâche les lundis et le dimanche 6 mars. Durée de la représentation : 1h25. Tél. : 05 34 45 05 05. www.tnt-cite.com
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