La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2018 - Entretien / Justine Lequette

J’abandonne une partie de moi que j’adapte

J’abandonne une partie de moi que j’adapte - Critique sortie Avignon / 2018 Avignon Avignon Off. Théâtre des Doms
Justine Lequette © Robin Delsaux

Théâtre des Doms / de et mes Justine Lequette
Entretien / Justine Lequette

Publié le 22 juin 2018 - N° 267

À partir du célèbre documentaire Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin, la metteuse en scène Justine Lequette revisite, près de 60 ans après, le rapport au travail et au bonheur, dans une démarche aussi joyeuse que sincère.

« On travaille beaucoup l’être ensemble et la joie au plateau. »

Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce documentaire de 1961 ?

Justine Lequette : C’est d’abord un film politique et artistique. Chronique d’un été a été l’une des premières expériences de cinéma-vérité en France, c’est-à-dire des documentaires qui ne sont pas écrits à l’avance et qui laissent la vie advenir. Ce que je trouvais très beau dans la démarche de Jean Rouch et Edgar Morin, c’est qu’ils se sont servis de l’art pour se poser des questions et pour poser des questions aux gens tout en donnant matière à réfléchir aux interviewés et à eux-mêmes. Ce film a aussi beaucoup parlé à la trentenaire que je suis. Je l’avais vu quand j’avais 20 ans, à une époque où je me posais des questions sur l’entrée dans le monde du travail, et je me suis aperçue que les questions qui se posaient dans les années soixante étaient toujours d’actualité voire résonnaient d’autant plus sur certains points.

Par exemple ?

J. L. : Le film date des années 60 et des Trente Glorieuses mais aussi de ce moment qu’Edgar Morin identifie comme un « tournant de la civilisation » : une alternative est en train de disparaître et la société industrielle prend toute son ampleur. Aujourd’hui, le psychanalyste Roland Gori parle de la « prolétarisation générale » de la société : ce qui a lieu dans les usines avec les ouvriers s’est aussi déplacé du côté des cadres et des dirigeants avec de plus en plus de règles techniques et de modes de vérification, y compris en psychanalyse. Cela m’a beaucoup parlé car en tant que jeune, je sentais la même déshumanisation dans le travail.

Sur la forme, comment avez-vous procédé pour faire de ce film un objet théâtral ?

J. L. : Le spectacle contient trois parties. Une première dans laquelle les acteurs s’amusent à rejouer des scènes du film. Ils ne le jouent pas à la lettre, car nous avons aussi travaillé à imaginer comment les personnages vivaient dans les interstices du film. On passe ensuite à 2018 en s’interrogeant sur le travail aujourd’hui à partir de discours politiques et de questionnaires sur le bonheur – une notion collective dans les années 60 et individuelle désormais. La dernière partie est une scène de burn out: les acteurs tentent d’éprouver ce moment de crise qui est aussi la possibilité d’aller vers un ailleurs.

Quelle est votre vision de l’humanité ?

J. L. : Je pourrais répondre que la société dans laquelle on est et vers laquelle on va ne me satisfait pas pour l’instant, mais on essaie d’y opposer un autre modèle dans les spectacles. On travaille beaucoup l’être ensemble et la joie au plateau pour opposer à un état du monde déprimant quelque chose de la joie d’un collectif en train de penser et de traiter ces questions. C’est d’ailleurs une dimension dramaturgique du spectacle.

 

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

J’abandonne une partie de moi que j’adapte
du vendredi 6 juillet 2018 au jeudi 26 juillet 2018
Avignon Off. Théâtre des Doms
1 bis rue des escaliers Saint Anne, Avignon

à 19h30 (relâches les 11 et 18 juillet). Tél. : 04 90 14 07 99.

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