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Classique / Opéra - Critique

« Iphigénie en Tauride » de Gluck : la nécessité du mythe selon Wajdi Mouawad

« Iphigénie en Tauride » de Gluck : la nécessité du mythe selon Wajdi Mouawad - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Comique
Tamara Bounazou (Iphigénie), Theo Hoffman (Oreste), chœur Les éléments dans Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra-Comique. © S. Brion

Opéra-Comique / nouvelle production

Publié le 4 novembre 2025 - N° 337

Forte, sobre et très cohérente, la mise en scène de Wajdi Mouawad donne toute sa force au mythe d’Iphigénie, incarnée par une sublime Tamara Bounazou.

Un mythe, c’est d’abord une affaire de généalogie. Wajdi Mouawad retrace celle des Atrides. Tandis que se déploie depuis la fosse l’ouverture d’Iphigénie en Tauride, un texte projeté sur le rideau de scène rappelle le sacrifice d’Iphigénie par son père Agamemnon, qui en paie le prix des mains de sa propre épouse Clytemnestre ; elle-même tombera sous les coups d’Oreste, frère d’Iphigénie, qui fut (mais personne ne le sait) sauvée in extremis par Artémis dont elle deviendra la prêtresse en Tauride. On en est là quand résonnent les dernières notes – et en quelques minutes de musique le chef Louis Langrée a déjà fait naître la tragédie.

On pourrait s’en tenir à ce résumé, cette anamnèse, mais Wajdi Mouawad veut, par dessus tout, donner au mythe son actualité, plus encore : sa nécessité. La Tauride des temps anciens, c’est la Crimée d’aujourd’hui. Le rideau s’ouvre donc sur l’un de ces « hyper-lieux » dans lesquels se reflète le monde contemporain. Un musée en l’occurence, dans cette terre ukrainienne occupée, là où l’art perpétue la mémoire du mythe, incarné ici par un tableau, peint avec le sang des combattants, représentant le sacrifice d’Iphigénie (il est l’œuvre d’Emmanuel Clolus et la clef de sa scénographie), et par ces effigies d’Artémis, spoliées par les barbares, que la déesse rendra aux Grecs à l’issue de l’opéra. À ce temps présent, le metteur en scène n’aura plus besoin de revenir. On s’en souviendra cependant quand tombera le tyran.

Du musée les murs s’écartent et l’on se retrouve au temple de Diane. Le temps du court prélude d’Iphigénie en Tauride, où Louis Langrée réinsuffle d’emblée la force dramatique, l’autel se couvre de sang : sacrifice inlassablement répété, rituel, chorégraphie effrayante et sans espoir. Wajdi Mouawad fait d’Iphigénie en Tauride presque un huis clos, toujours nous ramène devant l’autel, décor sculpté par les lumières d’Éric Champoux, qui aimante littéralement les protagonistes.

 

Incarnation parfaite

 

La force de l’opéra réside dans celle d’Iphigénie. Elle trouve ici son incarnation parfaite avec la soprano Tamara Bounazou. Sa voix claire, qui projette parfaitement le texte du livret de Nicolas-François Guillard, épouse avec naturel toutes les inflexions de la partition. Tragédienne affirmée, elle s’intègre avec évidence à la sobre direction d’acteurs de Wajdi Mouawad, dans les moments héroïques – où il n’y a jamais un geste forcé – comme dans les scènes plus intimes au côté d’Oreste. Celui-ci est interprété avec beaucoup de nuances par le baryton Theo Hoffmann, de l’extrême fragilité dans la scène des Euménides (acte II) à la ferme obstination qu’il manifeste pour sauver du sacrifice Pylade, son cousin et son ami – on goûte la beauté et la vigueur de la voix du ténor Philippe Talbot. Jusqu’aux rôles secondaires, toute la distribution contribue à cette révélation d’une parfaite cohérence musicale et scénique de l’opéra de Gluck. L’imposant Thaos, tyran implacable, de la basse Jean-Fernand Setti est impressionnant dans sa fureur glaçante. La soprano Fanny Soyer confère, dès la première scène, douceur et gravité à la Première Prêtresse et la mezzo Léontine Maridat-Zimmerlin fait forte impression dans la brève apparition de Diane/Artémis au dernier acte. Et que dire du chœur Les Éléments, qui à chaque apparition – elles sont nombreuses – apporte sur le plateau une fluidité vocale et scénique ! Le chœur des prêtresses en particulier se modèle autour de la voix de Tamara Bounazou. Tous sont portés par l’ensemble Le Consort élargi aux dimensions d’un orchestre particulièrement expressif et engagé sous la direction de Louis Langrée, qui passera la main pour les trois dernières représentations à Théotime Langlois de Swarte.

 

Jean-Guillaume Lebrun

A propos de l'événement

Iphigénie en Tauride
du dimanche 2 novembre 2025 au mercredi 12 novembre 2025
Opéra Comique
1 Place Boieldieu, 75002 Paris

Les 4, 6, 8, 10 et 12 novembre à 20h. Durée : 2h30 avec un entracte. Tél. : 01 70 23 01 31.

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