La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Insoutenables longues étreintes d’Ivan Viripaev mes Galin Stoev

Insoutenables longues étreintes d’Ivan Viripaev mes Galin Stoev - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Colline
© François Passerini Insoutenables longues étreintes, création de Galin Stoev.

La Colline / Tournée / texte d’Ivan Viripaev / traduction Sacha Carlson et Galin Stoev / mes Galin Stoev

Publié le 19 décembre 2018 - N° 272

Pour sa première création en tant que directeur du ThéâtredelaCité à Toulouse, Galin Stoev crée le dernier texte d’Ivan Viripaev. Un quatuor orchestré tout en subtilité, autour de quatre trentenaires perdus.

C’est un long compagnonnage qui unit l’auteur Ivan Viripaev et le metteur en scène Galin Stoev, qui l’a fait connaître en France avec Rêves en 2001, et y a notamment monté Oxygène ou Danse Delhi. Il crée ici Insoutenables longues étreintes, son dernier texte en date, semblable à Oxygène par son énergie tenace et par son adresse directe au public. Ce qui saisit dans l’écriture d’Ivan Viripaev, c’est sa manière singulière d’entremêler et de télescoper la médiocrité affligeante d’un quotidien sans espoir et un irrépressible besoin de sens. Comme une plongée dans le pire de l’existence qui serait néanmoins tendue de toutes ses forces vers une possibilité de beauté. Etonnante, touchante, sa langue le place parmi les auteurs majeurs de l’époque. Elle entretient une proximité saisissante entre le trivial et le spirituel, le sordide et l’onirisme. Contrairement à la partition plutôt loufoque des Enivrés, récemment mise en scène avec brio par Clément Poirée, cette création s’avère plus tranchante, plus sombre, car la mort y rôde sans cesse. Galin Stoev la met en scène avec maîtrise et subtilité, il en fait résonner les échos contradictoires, il en éclaire la profonde tristesse et aussi les ouvertures vers d’autres possibles, même vaines, rageuses, cantonnées à un imaginaire fantasmatique.

Célébration paradoxale

Ils sont quatre trentenaires : Monica, Charlie, Amy et Christophe. Originaires d’Europe de l’Est pour certains, ils vivent à New York avant de partir pour Berlin, « New York en moins cher ». Les relations se font et se défont, sans que jamais ils ne soient satisfaits. Douleur d’un avortement, tentative de suicide, quête effrénée d’orgasmes, cauchemars de serpents noirs, alcool, drogue, violence qui se déchaîne, traversée de l’enfer… Sinatra a beau chanter la féerie de New York, la vie est « une vraie saloperie ». Ce n’est pas dîner dans le meilleur restaurant vegan de la ville qui va donner un sens à l’existence. Les personnages ici racontent leur histoire ; les acteurs ne les incarnent donc pas, ou plutôt les incarnent à travers le récit. Un récit troué de percées oniriques. Car au milieu de tout ce malheur émergent des voix venues de galaxies lointaines, « la voix de l’univers » qui trouble la linéarité et impulse de nouveaux désirs, plus vrais, plus tendres, pour aider enfin à être vivants. C’est à l’intérieur de chacun des personnages qu’elles se font entendre, et cette manière de poser des questions essentielles et d’accorder de l’importance à l’intériorité dans un monde catastrophique est très belle. Même enfermés dans une prison mentale, il demeure possible de briser les murs. Une telle partition exige un grand talent de la part des comédiens, qui doivent éviter l’écueil d’une froide distance pour trouver une distance juste, en lien avec les spectateurs, qui peuvent être déroutés par cette noirceur où le plus vulgaire – signe de l’époque – côtoie des interrogations profondes. Remarquablement dirigés, ils relèvent le défi avec un talent sûr. Profondément touchante, Marie Kauffmann est impressionnante de finesse et de précision dans le rôle de Monica. De même, Pauline Desmet (Amy), Nicolas Gonzales (Charlie) et Sébasien Eveno (Christophe) déploient un jeu remarquable, et tous quatre sont parfaitement accordés. Leurs étreintes sont une célébration paradoxale de la vie.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Insoutenables longues étreintes d’Ivan Viripaev mes Galin Stoev
du vendredi 18 janvier 2019 au dimanche 10 février 2019
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

, du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h. Tél : 01 44 62 52 52. Durée 1h45. Egalement les 11 et 12 janvier au Théâtre Populaire Romand, La Chaux-de-Fonds. Du 18 janvier au 16 février au Théâtre de Liège. Spectacle vu au Théâtre de la Cité à Toulouse.

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