Le Cirque Trottola cultive l’« étrange » (« strano » en italien)
Reprise / L’Azimut / conception et interprétation Bonaventure Gacon et Titoune
Critique
Publié le 23 septembre 2024
Le Cirque Trottola cultive l’« étrange » (« strano » en italien), celui qui fait se côtoyer le tragique et le sublime, qui révèle le comique dans l’horreur, l’anéantissement dans l’envol. Pour un quatuor étrangement beau et touchant.
Au loin, une fanfare, ses roulements de tambours vivifiants, ses joyeuses trompettes… C’en est déjà trop pour Bonaventure Gacon, qui dégringole de sa mauvaise humeur, en ours mal léché trop tôt extrait d’un repos salutaire. Il préfèrera la solennité et la gravité de la musique de l’orgue (jouée par Samuel Legal), qu’il fait apparaître comme une pièce maîtresse du spectacle, surplombant la piste. Quand Titoune arrive, elle est une petite Piaf, toute menue et délicate, en jeune femme qui pépie comme elle peut face à la montagne que représente cet homme. Il ne serait rien d’autre que ce hussard déchu, une dérisoire épée de bois à la main, s’il n’avait pas quelque chose à nous raconter : son urgence de dire, c’est la guerre, l’horreur des tranchées, la vanité des hommes dans la vacuité de leurs actes, illusoires morceaux de bravoure. Ses monologues vont jalonner le spectacle d’une voix déchirant les attendus comiques du public. Le premier « numéro », un trio de portés acrobatiques avec leur régisseur circassien (Pierre Le Gouallec ou Sébastien Brun en alternance) les montre en bons petits soldats de l’acrobatie, parfaitement rodés à la tâche, droits dans leurs bottes, mais accusant le coup final d’un corps à la peine.
Un monde en déséquilibre
Un grondement sourd, une épaisse fumée et voilà qu’apparaît une autre figure militaire, au corps marionnettique, dans une dérisoire tentative d’élévation. Le drapeau blanc, trop lourd pour elle, participera de son effondrement… Beaucoup de scènes poignantes viennent questionner notre regard ainsi que la puissance des actes des hommes comme des circassiens, souvent à double tranchant. Il est en ainsi de la traversée de Bonaventure suspendu à 4 mètres de hauteur sur des échasses qu’il crochète au-dessus de sa tête, racontant inlassablement son voyage vers l’horreur. Si Strano joue sur la prouesse et le clown, c’est dans un mélange de sentiments pour le moins étranges pour le public, constamment retourné par l’ambivalence des scènes, toujours belles, toujours poétiques, très souvent drôles, mais profondément graves. Quand Bonaventure retourne dans son clown au nez rouge et au visage grimé, c’est pour mettre en place sa propre aventure musicale. Une tentative d’adoucir les mœurs qui essaye d’écraser la douce Rififi, frêle mais forte devant ce personnage manipulateur et autoritaire qui veut faire sa diva. Mais elle possède bien d’autres espaces pour briller, dans la mécanique d’un double trapèze ou au sommet d’une échelle dans des numéros toujours étonnants. Lui, n’arrivant plus à cacher, lors de l’installation du dernier agrès, le profond anéantissement de son être intérieur, est pourtant celui qui la rattrape et la porte. Les deux parviennent en fin de compte à trouver l’équilibre final entre leurs corps, comme un équilibre entre la foi en l’humain et le désenchantement. Et la roue de continuer à tourner, et la petite musique du carrousel de continuer à jouer…
Nathalie Yokel
A propos de l'événement
l’« étrange » (« strano » en italien)du mercredi 9 octobre 2024 au dimanche 20 octobre 2024
L'Azimut
Espace Cirque, rue Georges Suant, 92160 Antony
Les 9, 10, 16 et 17 octobre à 20h30, les 12 et 19 octobre à 18h, et les 13 et 20 octobre à 17h.
Tél. : 01 41 87 20 84.
Tournée : du 30 octobre au 10 novembre, Théâtre Vidy – Lausanne (Suisse). Du 3 au 21 décembre, Le Centquatre, Paris. Du 10 au 14 janvier, Théâtre de Lorient. Du 22 au 29 janvier, Théâtre de Cornouailles, Quimper. Du 6 au 10 février, Le Carré Magique, Lannion. Du 5 au 9 mars, Le Palc, Châlons-en-Champagne. Du 28 mars au 5 avril, Latitude 50, Marchin (Belgique). Du 25 au 30 avril, Le Prato, Lille. Du 20 au 24 mai Théâtre Sénart.
Spectacle vu aux 2 scènes, scène nationale de Besançon.