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Gualterio Dazzi : création et héritage, une fausse controverse

Gualterio Dazzi : création et héritage, une fausse controverse - Critique sortie
photo: Gualterio Dazzi

Publié le 10 juillet 2008

Gualterio Dazzi : création et héritage, une fausse controverse

Le compositeur Gualterio Dazzi, né en 1960, nourri de multiples influences artistiques et culturelles, ne se cantonne à aucune étiquette, comme le prouve par exemple son implication dans le domaine du théâtre. Bien au contraire, il invente et met en pratique un lien constant et dynamique entre passé et présent, musiques ancienne et contemporaine, création, expérimentation et pratique héritée.

Je suis compositeur. Ceci supposerait, à notre époque, que la part d’expérimentation nécessaire à ma création, ait comme visée principale le dépassement des limites de la pratique instrumentale, voire de la lutherie, dans un souci de « détournement » de l’instrument, afin de créer une « sonorité négative » qui se situe « avant la musique », en-deçà d’une texture musicale dotée d’une éloquence propre, en rapport avec notre tradition. Personnellement, je n’ai jamais réellement compris cette forme de nihilisme, ni pourquoi on disait autrefois que le matériau pouvait « s’émanciper » et exister pour lui-même « en dehors » du temps et de l’histoire. En revanche, je trouve fascinant que l’on puisse se référer à des créateurs vivants en les appelant « classiques », et intrigante la ferveur avec laquelle se diffuse la musique du « passé », en particulier celle d’avant 1750, plutôt que celle d’aujourd’hui… Pourtant, le travail de tous ces artistes est profondément inscrit dans leur (notre) époque. Si l’élément fondateur réside dans le rapport que nous entretenons avec notre mémoire, l’idée même de faire « tabula rasa » n’est rien d’autre qu’une façon stérile d’entretenir une relation avec le passé. En ce qui me concerne, je cherche plutôt la possibilité d’inscrire mes œuvres dans un rapport profondément fécond avec une pratique, une sonorité ou encore une forme héritées, et de montrer par la création, où se situent la force et la vitalité de cet héritage.

Créer un lien et une résonance entre le passé et le contemporain
Lors de ma résidence au Conservatoire de Strasbourg en 1995, à l’occasion de la création, au Festival Musica, de mon premier opéra « La Rosa de Ariadna », j’ai mis en œuvre un projet pédagogique basé sur trois axes de réflexion : le travail avec l’espace, la transcription et la pratique sur instruments anciens, et enfin la création de nouveaux affects dans le lyrique contemporain. Mon analyse visait à comparer des œuvres du XVIIème siècle et des œuvres contemporaines. À l’issue de cette année, le directeur du Parlement de musique (ensemble sur instruments anciens), Martin Gester, m’a commandé une œuvre en regard des Lamentations du Prophète Jérémie d’Alessandro Scarlatti. Ayant comme contrainte de permettre aux mêmes interprètes de chanter et jouer l’une et l’autre musiques, j’ai conçu le projet « Tenebrae » comme un tout : musiques ancienne et contemporaine dialoguent en s’intercalant, et les dix poèmes de Paul Celan que j’ai choisis créent une résonance entre le texte biblique et le cri contre la barbarie. Mais la vraie contrainte était de composer pour des interprètes qui, selon le cliché, n’avaient pas l’habitude de la musique d’aujourd’hui. Autrement dit, des musiciens spécialisés dans une pratique instrumentale qui leur demande une technique spécifique pour jouer selon des tempéraments différents, avec une agilité et une justesse relatives à la matière dans laquelle leurs cordes (de boyaux) sont fabriquées.

Dépasser la spécialisation du public et des interprètes
Lorsque l’œuvre nouvelle utilise un vocabulaire instrumental différent, comme par exemple de faux unissons sur deux cordes ou encore l’utilisation d’un registre extrême du violon, il est indispensable, pour le compositeur, de trouver l’éloquence dans la musique qui permette à l’interprète de comprendre (selon l’étymologie du terme, « prendre avec soi ») le sens, et de faire sienne l’expérience musicale à laquelle il participe. C’était passionnant de se plier à cela, et l’expérience a été très concluante : la pertinence du dialogue entre les musiques transparaît de mon désir de me situer au plus près de la pratique de la musique ancienne, tout en restant profondément moi-même. Après Tenebrae, j’ai composé pour des instruments « anciens » chaque fois que l’occasion s’en est présentée. Mes compositions les plus récentes datent de 2007 : une musique de scène pour théorbe, faisant alterner des parties mélodiques à des sons multiphoniques dans les cordes graves, pour un projet autour du Caravage, puis, très récemment, une œuvre pour chœur et orgue à l’occasion de l’inauguration du nouvel orgue de l’Église du Bouclier à Strasbourg, instrument fabriqué selon la tradition thuringienne du XVIIème siècle… En guise de conclusion, je dirais qu’une œuvre musicale, qu’elle soit composée pour violon baroque ou « moderne » (mais Stradivarius a-t-il vécu au XXème siècle ‘) n’a de force que si elle arrive à dépasser les cloisons – celles de la spécialisation de son public et de ses interprètes, voir même celles de l’histoire. C’est là la force de la pratique de la musique ancienne, et le milieu de la création musicale devrait comprendre cela, avant d’être sacrifié sur l’hôtel de la rentabilité, ou de la démocratisation !
 
Gualterio Dazzi

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