Nana
Céline Cohen et Régis Goudot interprètent [...]
Ce fut l’un des événements de la rentrée : le retour de Bernard Sobel au Théâtre de Gennevilliers, avec la première mise en scène en France d’Hannibal, pièce de l’Allemand Christian Dietrich Grabbe. Austère, horizontale, cette fresque humaine d’inspiration historique est présentée au Théâtre national de Strasbourg.
« Le théâtre n’est pour lui ni un lieu de divertissement spectaculaire, ni un acte de fête communautaire et culturelle, ni le lieu de la profération d’un message, explique Sylviane Gresh à propos du travail de Bernard Sobel, en introduction de l’ouvrage qu’elle a consacré au metteur en scène en 1993(1). La dernière création du fondateur du Théâtre de Gennevilliers (institution qu’il a dirigée de 1963 à 2006) est un exemple probant de cette façon de faire et d’envisager le théâtre. Revenant à Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) – auteur allemand peu connu dont il avait révélé une première pièce, Napoléon ou les Cent-Jours, en 1996 – Bernard Sobel présente, avec Hannibal(2), un spectacle âpre, rigoriste, linéaire. Durant 2h40, au raz du texte, Jacques Bonnaffé (dans le rôle-titre) et ses quatorze partenaires de jeu (dont Pierre-Alain Chapuis, Jean-Claude Jay, François-Xavier Phan…, qui composent chacun plusieurs personnages) labourent les chemins terreux de cette histoire antique nous menant de Carthage à Rome, en passant par l’Espagne, l’Asie mineure…
Une longue avancée sans choc, sans saisissement
C’est une longue fresque humaine qui se présente à nous. Avec ses guerres, ses massacres, ses manœuvres géopolitiques, ses conquêtes, ses envahissements, ses impasses, ses chutes. Une fresque sans espoir, mais sans noirceur excessive, qui avance à la façon d’un long fleuve presque tranquille. « Chez Grabbe, déclare Bernard Sobel, il y a des intérêts, de la lâcheté, de la bêtise, de l’énergie, de la fatigue, de l’ambition, du grotesque, des erreurs, de mauvais choix, mais ni absurde ni tragique. » A travers le regard du metteur en scène, tout cela fait un spectacle sans angle. Sans choc. Sans saisissement. Un spectacle qui s’interdit toute envolée et toute quête d’émotion. Au sein d’une scénographie à l’esthétique résolument naïve (le décor de Lucio Fanti se compose de panneaux peints descendant des cintres, sur un vaste escalier) cet Hannibal se déplie, scène après scène, valeureusement mais laborieusement, suscitant un sentiment mêlé de respect et d’ennui.
Manuel Piolat Soleymat
(1) Un Art légitime, Editions Actes Sud.
(2) Editions de L’Age d’Homme, texte français de Bernard Pautrat.